c’est évidemment simplet – c’est du temps de Paul Anka ou des Chordettes – ou quelque chose de ce genre : quand le cinéma avait quelque chose de (disons) grandiose – les années cinquante, la couleur, l’entame le début déjà pourtant bien avancé de ce rêve américain – quelque chose de ce genre, trente glorieuses et plan Marshall sont dans un bateau – pour travailler, il suffisait de demander ou de le vouloir – il y avait la conscription, c’est vrai aussi, mais enfin on pouvait tenter d’y échapper – un sursis – quelque chose – le cinéma d’alors, c’est que c’est venu dans l’atelier, et que des images se sont bousculées les unes précédant les autres,les études, la rue Michelet, les quatre films par jour, c’était avant que ne tombe lemur, les tours et les illusions – j’en dispose de cinq mais ce sera suffisant, j’évoque et je tente de garder la joie de vivre et de fréquenter ces salles où s’éteint la lumière pour qu’on y voie mieux…
ce n’est déjà plus comme ça apparaît là – je suppose avoir pris cette image il y a une dizaine d’années – c’est au bas de la rue, c’tait un cinéma après avoir été un bal concert ou un théâtre enfin des trucs de ce genre, détente culture entertainment tu vois le genre, c’était en bas de la Courtille, juste à côté de la douane (qui ne s’appelait pas douane, mais qui en avait la teneur : on y payait l’octroi) – des cinémas transformés en épicerie, c’est le lot – depuis longtemps (tu te souviens, Modiano dans le quinze qui se promenait dans une de ces enseignes ?) (je me souviens) une année on était en vacances sur la presqu’île du Gargano et on avait poussé jusque Trani (un bled de mémoire plus que sinistre, du temps de l’ordure tout cette pourriture qui ressort ces temps-ci, tout ça) et on avait déjeuné juste à temps (des pâtes aux moules, merveilleuses) et plus tard on était tombé sur ça
c’est fermé, il n’y a plus d’affiche non plus que d’images (encore moins : le petit Doisnel n’y aurait rien trouvé) on a pensé au Cinéma Paradiso probablement magique comme toute cette époque – on se souvient, et on s’en va – c’était octobre dernier, pas le mois dernier, non, non, c’était entre les deux confinements de deux mille vingt, on s’en souviendra comme de quelque chose de cruel et d’obscène – on avait pris l’auto pour aller voir un peu ce qui se tramait du côté de l’embouchure de la Loire – une promenade magnifique il faisait beau (comme dans la chanson « dans la rue il faisait bon/j’me fredonnais une chanson… ») et à Paimbœuf
une espèce d’abandon – la télévision? le câble ? les chaînes ? tu te souviens ? les plateformes comme celles du pétrole ? – abjectes… On avait pensé à s’installer, tu sais comment c’est les rêves, les amusements (les fantasmes) les chansons c’est tout un, on ouvre un ciné-club, on cherche un distributeur intelligent et tout le bazar – dans tout ça me revenait les mots de Claude Beylie, si convaincu de la vérité et des vertus de la cinémathèque (celle-là était universitaire, j’y étais assistant)
ah non, celle-ci est celle qui restait de la Fémis – ce n’en est que le titre, défait, perdu – (fédération européenne des métiers de l’image et du son – on en a conservé l’acronyme mais on lui a changé le nom, on a changé l’emplacement, je me souviens aussi de Jack Gajos) du côté du Trocadéro (c’est devenu palais de Tokyo) mais on s’en fiche pas mal comme dans la chanson « j’ai mon passé qui est à moi » – pour finir alors cette image de l’une de mes actrices préférées, muses et inspiratrices magiques
avec nos meilleurs souvenirs
tout ça vient un peu pas mal de ce numéro 9 d’atelier, augmenté des images du blog de Philippe Celerier