épisode 2, trompette d’or

Dans ma maison d’enfance – au sens large, je dis « maison » mais cette maison englobe le jardin, la rue, le territoire en arc de cercle contenu dans cette rue et dans la rue suivante en forme de virgule, tout un espace en plus d’un espace-temps délimité par je ne sais quoi, car il est difficile de pointer un début et une fin, le jour du commencement peut se perdre dans le flou et le jour du départ a parfois lieu sur place, ou bien on ne réalise que c’était lui que bien après –, il n’y a ni horizon ni ciel. Je crois que je n’ai pas assez de hauteur, je ne suis pas assez haute pour voir, même tout en haut de l’escalier qui mène à la porte d’entrée avec sa rambarde de fer, même sur la plus haute marche je ne vois pas l’horizon, seulement l’assemblage de façades, de murs, de toits, et la verdure d’un jardin éloigné où des enfants jouent (on dirait qu’il se passe quelque chose là-bas, peut-être que de là-bas on voit l’horizon). Il n’y a pas de ciel, car dans mes souvenirs il n’y a pas d’oiseaux. Un arbre, j’ai oublié son tronc, je ne vois que des feuilles grandes comme des mains, à éplucher, à creuser entre les nervures pour fabriquer de grandes araignées végétales. Le jardin est en pente. Ma maison d’enfance possède un toit oblique. Dedans, tout est d’équerre et c’est bien rassurant, ou bien très énervant. Parfois il y a des sons dans la pièce principale, c’est de l’accordéon ou bien du Franck Pourcel, ou bien cet autre disque avec sur la pochette une trompette aux pistons rutilants. Et pendant que j’écris, que je cherche de qui était ce disque – parce que les sons englobent tout, il y a l’espace, il y a le temps parfois mal délimité et puis il y a les sons qui savent tout traverser – et parce que j’ai laissé la télé allumée sur une chaîne musicale, je vois une femme, justement trompettiste (concerto de Haydn, il n’y a pas beaucoup de femmes trompettistes). Et comme je la regarde en rêvassant, quand le morceau finit, il est suivi d’un autre, concerto de Ravel sur lequel nous avions écrit tous les deux, Philippe et moi (adagio du concerto en sol majeur, longue phrase mélodique « qui coule, mais je l’ai faite mesure par mesure et j’ai failli en crever ! » disait Ravel), Philippe avait intitulé cela Enfance, et c’est le morceau qui surgit pendant que j’écris ma maison d’enfance, je ne suis pas assez haute pour l’horizon, le ciel, mais je suis assez haute pour voir ce signe qui fait partie de signes que j’appelle une main sur l’épaule. Bien sûr c’est le hasard, rien n’est organisé comme on voudrait, et, dans les faits, les morts sont morts et les vivants sont là, et le passé est révolu bien que ses surgeons se développent, c’est comme les racines, c’est flou, est-ce que l’on sait exactement à quel moment une racine s’arrête net, et est-ce que ça s’arrête net, seulement ?

Je passe mon temps à poser des questions sans consistances, à suivre leurs tracés comme des zébrures, et à attraper les réponses que le hasard répand avec sa belle obstination.

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couleurs pour un ami

 

 

 

décidément ces mois de juillet de se suivre et de se ressembler continûment défilent (déjà soixante huit de passés et ils ne m’ont jamais trop inspiré) – je recensais les diverses fractures subies, un peu trop nombreuses en ce mois, et je me disais que l’attachement au calendrier avait quelque chose de la superstition, et qu’elle y était pour beaucoup – je ne déteste pas l’été, pourtant – il nous faut nous accrocher à quelque chose, sans doute, mais sous peine de quoi ? – J’avançai dans le jardin pensant à Philippe Aigrain qui nous a faussé compagnie

quand même les images seraient-elles d’un précédent passage – regarder rétrospectivement les choses ne nous est, au fond, que de peu : elles n’en sont pas moins violentes, ou blessantes –  les oublier ne vaudrait guère mieux – je les pose ici, dans la boîte aux lettres (elles lui parviendront certainement)

(on y voit un pied de l’agent – je ne suis pas certain qu’elles aient été plantées là, ces fleurs, j’ai plus l’impression qu’elles se sont installées non loin de la margelle du puits (on l’aperçoit droite cadre) pour y trouver ombres et humidité) il pleuvait d’ailleurs, j’étais allé voir l’état du figuier (on l’avait cru décédé, le voilà qui renaît) (le figuier est un feuilleton d’un autre ordre, mais peu importe (l’ordre, en réalité, on n’aime pas tellement ça), nous sommes ici en villégiature et nous attendons la venue d’un client) le reste du monde bruissait comme un peu toujours (on ne voit jamais les choses que de son petit œilleton (« un misérable tas de petits secrets » disait l’autre, il n’avait pas complètement tort – mais pourquoi seraient-ils qualifiés de « petit », c’est la question)

dans les verts, dans les bleus, dans les mauves – la peinture, les pastels de chez Sennellier dont il paraît que l’officine du quai Voltaire a disparu – j’y passai l’autre jour sans le remarquer, la peinture, le dessin, de l’autre côté du fleuve, les cours du type (un professeur, certainement, je ne sais plus et j’étais là en touriste comme on aime à dire – comme si le tourisme était disqualifié) sur Piero della Francesca ou alors Fra Angelico – j’aurais aimé suivre quelque chose sur le Caravage sa période vénitienne (je crois que je trouverais plus quelque chose au Vatican) encore qu’on aurait encore parlé de ses frasques de voyou, passons – je regarde la peinture et les contrastes – je regarde les dessins et les fleurs – il n’est cependant pas question, nullement, de s’arrêter – des annonces, des effets de manche, des ministres corrompus ou peu importe – la vraie est ailleurs disait-on et on n’avait pas tort –

un jour une visite aux grands formats (où Patrice Chéreau mettait en scène sa reine Margot) un passage par l’Égypte parfois (je me souviens de ces jeunes années, Vénus de Milo et Belphégor) – il se trouve que les gens, les personnes, les ami.es qui disparaissent nous manquent (on les revoit en songe mais c’est différent, même si on ne les connaissait que peu) c’est mon cas avec Philippe mais il m’avait aidé, il avait aidé le collectif L’AiR Nu auquel j’appartiens (c’est amusant, cette façon d’appartenir à quelque chose), alors pour lui en son souvenir peut-être, quelque chose comme quelques fleurs et quelques couleurs de vie – salut à toi (et merci pour tout)

à ses ami.es, sa famille et celles et ceux qui ont perdu un ami