De retour d’une visite dans une maison non-témoin, une maison comme on dirait une maison d’enfance, l’agent se gare loin de l’agence. Le soleil se couche. Pas de place de parking. Tout est loin de tout. L’agent court, il court comme s’il en allait de sa vie, il court pour arriver, pour arriver avant quoi ?
Les deux vitrines d’annonces sont éclairées, de part et d’autre de l’entrée dont le volet métallique est fermé.
Le volet de l’agence est un modèle à lames pleines en acier, fabriqué dans les années 80 par Douville. L’agent ignore l’histoire complète de ce volet roulant, il s’agit d’une cloison invisible en quelque sorte. Le matin on ne la regarde pas, on l’ouvre. Le soir on la ferme, et on s’en va. Les passants ne voient pas du tout ce volet, ils regardent distraitement les annonces, d’une vitrine à l’autre, et c’est tout.
La société Douville a fermé, mais a rouvert ailleurs sous le même nom, ou presque. L’adresse indiquée sur le volet est désormais fausse, de même que le numéro de téléphone. Combien de façades et de noms cette société a-t-elle emprunté depuis 1927 ? Les fluctuations économiques peuvent-elles renverser une fabrique de volets métalliques ? Un vendeur de pierre ? L’agent engage la clé dans la serrure de marque Prefer (banlieue de Milan, depuis 1941 — drôle de date pour créer une entreprise en Europe — et puis ça commence à faire beaucoup d’objets non-témoin, il faut que la journée se termine vite).
Le bruit caractéristique, bruyant, qu’on ne peut décrire que par une tautologie : « un bruit de volet métallique qui s’enroule » ; comment faire autrement ? À l’ouverture, rythme et variations sonores proches de l’eau qui sort d’une bouteille, et donc en plus métallique et claquant. Et l’inverse à la fermeture, une bouteille que l’on remplirait.
Bref, l’agent ouvre le volet, et entre dans les bureaux sombres, déserts.
Il s’arrête sans allumer la lumière, regarde autour de lui et se demande : qu’est-ce que j’étais venu chercher ?