Doux-leurre

« Et à la fin, c’est toujours Blanche qui masse… »

Ca fait 13 jours que j’attends. La semaine dernière, au bout de quatre ou cinq, ça commençait à se calmer. Bien même. Alors j’en ai profité pour nettoyer mon bureau, bien même. J’ai de la place pour penser maintenant. Hélas, jeudi matin, alors que je me suis dit avant de le faire que je ne devrais pas, je suis partie avec mon sac à dos sur le dos. J’avais juste mis une tablette dedans, avec le livre acheté la veille dans la liseuse, « Légumes » par l’école Ferrandi. Depuis, je n’ai toujours pas lu le livre, et les douleurs sont revenues. Pas aussi fortes, mais elles m’ont encore réveillée la nuit. Et j’ai encore du demander un massage nocturne à Blanche, qui s’est exécuté presque sans broncher. D’ailleurs je vais de ce pas aller boire le breuvage immonde histoire de. Kh.

Ça fait deux jours qu’elles sont si bien revenues que j’en profite pour me fondre avec le sofa, mains repliées. Hier matin, quand même, je me suis levée et j’ai été faire à manger. J’ai épluché des pommes de terre, des carottes, des oignons, j’ai mis la viande à dorer avec les oignons, un peu trop longtemps, j’ai noyé d’eau une fois moins que d’habitude, j’en ai profité pour essayer les épices « Rabelais » trouvé il y a quelques mois dans la magasin du village d’en face. Pas trop non plus. Un espèce de Ras-el-hanout du coin quoi. Pas mauvais, et pour une fois salé correctement. Ni trop ni trop peu.

Ça fait deux jours que je n’ai toujours pas lu le livre « Légumes », 300 pages tout de même, il serait temps que je m’y mette, surtout que le stage commence le 02 décembre. Mais.

Mais il y a un texte, entre mes doigts et le clavier. Excuse ou pré-texte de plus ou de moins, cochez la bonne case.

Hier, je l’aurais bien écrit, mais j’avais vraiment trop mal. J’ai juste eu la force de faire à manger. Je n’ai même pas nettoyé ni rangé la cuisine comme je voulais le faire. Pour préparer mon « laboratoire d’expérience » en vue du passage des épreuves du diplôme auquel j’ai fini par m’inscrire, normalement administrativement correctement. J’ai pas eu de nouvelles tiens. Nope, pas de news de ce côté-là. On va laisser macérer, de toute façon, ce n’est pas un objectif final, juste un en passant. Quand je me suis inscrite au stage de trois semaines, la gentille personne de l’autre côté du téléphone m’a répondu : « vous savez, ce stage est validé comme unité d’enseignement permettant de passer le CAP cuisine… ». J’avais pas vraiment envisagé l’option, je voulais juste apprendre, un diplôme, j’en ai déjà un. Mais bon. Pourquoi pas essayer au moins.

Donc j’ai un peu tout le programme « pro » à mâcher, avaler et digérer d’ici mai 2025. Je le sais depuis mi-aôut, quelque chose dans le genre. Je savais que sortie de la Détente, il me faudrait un peu de temps pour me reposer. Je ne savais pas combien. Juste à la sortie, et alors que j’avais eu mal toute la saison, je me suis dit « bah, une semaine, ça devrait suffire ! ». Ben voyons. On en est à 13 jours, j’ai toujours mal, moins, mais j’ai toujours mal. Ca me réveille encore la nuit, pas toutes, mais au moins l’avant-dernière. Les bras tombent. Je vois bien que mes pouces, au repos, tombent plus que d’habitude. Comme s’ils dormaient. Je m’en sers comme de pouces somnambules. Les doigts, les coudes et les épaules sont quant à eux, à moitié réveillés.

J’ai même acheté un poisson entier, vidé quand même, et un poulet entier. Mais je ne sais pas pourquoi, ce n’est ni la viande, ni le poisson qui me font peur. Ce sont les légumes. J’en ai sérieusement une peur incroyable. Ca a fait rire les quelques véritables cuisiniers de pas sage à la Détente à qui on a un peu parlé du « projet ». L’un d’entre eux, vers la fin de la Détente, m’a même dit qu’il avait perdu les tendons d’une épaule déjà. J’ai retenu qu’il avait été prof en CFA, après avoir travaillé dans des étoilés comme dans des restaurants dits « traditionnels ».

J’ai eu mal aux deux épaules jusqu’aux pouces quasiment sans discontinuer depuis mi-juin. On est le 16 novembre. Au début de la saison, alors que ça fait aux moins deux d’entre elles que je le répète à qui veut ou ne veut pas l’entendre, que je vais faire la pâte à tarte moi-même. Car c’est le seul élément de la Détente qui n’était pas « maison », et que ça m’a toujours dérangé, malgré les écoutes belles-meriennes des émissions de radio qui déculpabilisent les cuisiniers sur la pâte feuilletée : « ils l’ont dit à la radio, la pâte feuilletée, c’est le seul élément qu’ils comprennent qui  ne soit pas maison ! ». Eux peut être. Moi, pas.

Alors je m’y suis mise dès avril. Mal, en regardant des vidéos, des tutos, j’ai fini par trouver La recette qui convenait au débit de la Détente. 7 à 8 tartes par jour en pleine saison, au moins 3 ou 4 en moyenne sur l’année. J’ai calculé, estimé, acheté les éléments, et j’ai pratiqué. Jusqu’à mi-juin. Car, comme d’habitude, ce que je n’avais pas mis en équation, c’est mon corps. Arrivé mi-juin, j’ai déclaré forfait. Si je continuais, je ne pourrais plus que faire la pâte, et encore pas jusqu’en novembre, j’en suis sûre. Et il fallait bien assurer les autres desserts que j’avais mis à la carte, un peu de pluche pour Blanche, le service de la journée, la plonge, etc.

Depuis, je n’ai pas retenté cette pâte à tarte feuilletée rapide. D’autant que, d’après mes calculs, pour gagner du temps, j’avais un peu grossi les quantités de départ, pour gagner du temps. J’en ai gagné. Mais rien ne se perd, rien ne se gagne Madame, tout se transforme. Depuis, j’entends comme une musique dans mes bras. Pas agréable, quoique, mais une musique quand même. Comme si chaque petit fil de tendon cassé faisait sonner sa vibration de toute façon, non pas de toute façon, mieux même. Comme si un violon avec la moitié des cordes coupées donnait du son uniquement par celles-ci. Je l’entends là, au moment où j’écris, mal installée sur ma chaise, mais mieux que d’habitude quand même. Que dit ce son ? C’est assez difficile à transcrire. Il dit quelque chose comme : « maintenant tu perçois, ne rate pas cette chance ». J’imagine qu’il faut un peu de pratique de la langue « douleur et souffrance » pour tenter une transcription, même partielle. J’ai du bol, même plusieurs, ça j’ai eu, assez pour tenter de.

Pour être tout-à-fait honnête, et même si je ne pourrais jamais faire la liste exhaustive de tous les facteurs nécessaires, au sens philosophique du terme « qui ne peut ni ne pas être ni être autrement », il y a quand même un élément crucial. Pour moi cet élément a un nom de référence : Blanche . Mais il peut varier selon les individus.

L’idée est surtout de se sentir assez « protégée » pour se laisser à autant d’auto-expérimentations que nécessaires pour atteindre un point de perception plus loin. Et à la fin, c’est toujours Blanche qui masse.

Bref, ce matin, en me levant, ayant toujours un peu moins mal que la veille, je me suis dit « allez, ponds moi ce foutu texte qu’on puisse passer à autre chose… ».

Comme je n’ai pas d’instruction, mais juste un mot en boucle dans ma tête depuis 2 ou 3 jours, je commence par l’étymologie. Je ne trouve pas ce que je veux, par contre je trouve son mot-couple, en tout K dans la langue française : souffrance. Je cherche un peu, mal, mais je cherche un peu, mal.

Dès la première googlérisation, je tombe dans les premiers résultats de recherche sur un article posté sur cairn. J’ai toujours plutôt tendance à faire confiance à ce site tout en me rappelant de vérifier les sources. Le titre de l’article est plutôt aguicheur pour moi à ce moment-là : « Souffrance et douleur : du latin au français… vers l’humain ! ».

Allez, hop, petit-dèj : je me mets à le déguster. Hop, arrêt première ligne : « Je ne suis pas nominaliste. Mais je sais qu’il n’existe pas de pensée sans mots et donc que… ». Ah ben oui mais non. Ca va pas le faire. Déjà une phrase qui commence par « je ne suis pas…mais… », voilà quoi, vous pouvez mettre ce que vous voulez dans les trois petits points, on sent le truc arriver. Donc « pas de pensée sans mot », je ne peux pas lire la suite, j’ai essayé, mais je suis revenue directe sur la première phrase. Nan, je peux pas.

Je me souviens m’être dit « ouh là, celui-là, je vais me le faire… », mais avec un peu de travail sur Soi depuis 5 ans, j’ai quand même réussi à glisser un peu d’espace entre la pensée et l’acte. Déjà, regarder qui est le monsieur, je ne le connais pas. Ah…prof à l’école des Chartes. Merdre. J’aime bien moua, l’école des Chartes. Même si je me souviens jamais très bien ce que c’est, je sais que c’est « important », l’école des Chartes. Bon, on va y aller mollot alors. Retentons la recherche « pensée sans mot » dans gogole, re-lien cairn, ouf, je suis soulagé, je clique : « Pour les neurologues, l’existence d’une pensée sans langage apparaît de jour en jour plus évidente et déterminante dans la vie mentale. ». Peut être le premier article datait-il un peu, ne pas juger, ne pas juger, chercher : Charlet, J. (2018) . Souffrance et douleur : du latin au français… vers l’humain ! Dans Pitaud, P. (dir.), Gérontologie : aux portes de la souffrance. ( p. 17 -28 ). Érès. https://doi.org/10.3917/eres.pitau.2018.01.0017. Arf, même pas, 2018, c’est po vieux ca. Et le deuxième ? Laplane, D. (2001) . La pensée sans langage. Études, Tome 394(3), 345-357. https://doi.org/10.3917/etu.943.0345. Arf. C’est pire, le deuxième est plus vieux que le premier.

En même temps, on va pas parler de révolution non plus, dès les 4emes et 5emes lignes : « La thèse ici défendue est qu’une pensée ne peut être complète sans l’intervention du langage, mais qu’elle existe largement préformée sur un mode non verbal et que le langage participe, de ce fait, à son parachèvement. ».

Parachèvement.

Je vais pas m’en sortir de mon violon aux cordes à moitié cassées ce matin…

Roh, ça se trouve les deux sources ne sont pas fiables épicétout.

Qu’est-ce-que je voulais dire déjà ?

Ah que j’ai moins mal, là, maintenant que j’ai écrit tout ça…

Doux-leurre(s).

Tu as volé l’orange!

Par-delà les mots des maux

Par-delà les maux des mots

Qui a volé l’orange du marchand ?

Percer et voir implique d’affronter des paradoxes qui peuvent rendre fous si on a pas eu le temps d’accepter certains dépassements de réalités, quels que soient les noms qu’on leur donne le temps d’accepter qu’un nom est encore illusoire : l’Argent, Dieux, la Célébrité, etc.

Je me souviens de ce moment où j’ai enfin atteint le niveau académique qui me permettait de choisir gravement entre branche molle ou dure de la recherche, comprenez par-là recherche en « Humanités » ou en « Linguistique ». Lasse, je me suis considérée, voire conne-sidérée, un peu vieille pour poursuivre une étoile trop lointaine. La Linguistique, que je poursuivais de mes désespoirs assidus de naissance, me sembla à ce moment-là, inatteignable, voire ina-teigne-able. J’ai bien cru l’avoir enterré ce jour-là. En fait, je n’y ai pas cru du tout, ni cuit d’ailleurs. Je savais bien que ce n’était que parti remise, encore une fois.

 

Je viens de compter, on vient d’enchainer 20 jours non-stop à la Détente. Aujourd’hui, on a décidé, toutes les deux, de se reposer. Pour se donner un peu de force pour la dernière ligne droite. Dont on ne sait même pas trop où est la fin, le 03, le 11, novembre, décembre. Je me souviens que sans vraiment savoir ce que je faisais, j’ai parlé de calendrier sur la moitié d’une des trois parties du fameux mémoire de Master 2. J’avais été très loin dans la recherche, mais je n’avais rien trouvé de ce que je cherchais. Je n’avais pas trouvé Le calendrier que je cherchais. C’était pas faute d’en avoir trouvé, des grégoriens, des lunaires, des anciens, des atomiques…mais rien n’y faisait, aucun ne m’avait satisfait, déjà. Et je crois bien que je n’en avais fait aucune conclusion d’ailleurs, déjà.

Il est 6h53, le mardi 29 octobre 2024, j’ai 14, 567 tâches administratives à peaufiner dans 3,14etc. domaines, et je suis là à écrire sur l’ordi, même pas avec un stylo.

Pause-clope.

Qui a volé l’orange du marchand ?

« Mais mademoiselle, personne ne va rien comprendre si vous mettez le troisième étage de la fusée sans rien avant !!! la fusée ne décollera même pas !!! »

Au moment où j’écris ces lignes j’ai le poignet droit qui saigne un peu à l’intérieur. C’est comme ça que je le ressens, une coupure à l’intérieur, juste en bas de la ligne de vie comme disent les diseuses d’aventures.

Je me souviens de cette fois où, sur un souk marocain, ma mère a cédé à une de mes deux petites sœurs et leur a permis de se faire dire la bonne aventure par une vieille femme assise sur un voile gigantesque dont je me souviens le rouge surtout qui cinglait sur le jaune du reste de l’environnement d’un souk presque vide déjà vu l’heure tardive. Je ne vois même plus qu’elle, la diseuse, assise à terre, et mes deux petites sœurs passant chaque une leur tour, assise devant elle, si petite, si « innocentes », elles. Et leur père qui leur traduisait le dialecte de la diseuse.

Mes yeux se sont affolés quand j’ai vu dans les yeux de l’une d’elle la « croyance ». Elle a bu chaque mot comme un nectar magique. L’effroi sous ma peau, ce n’était pas la première fois que je sentais ce liquide froid et bleu me parcourir sous la peau, mais c’était la première fois que j’essayais de le combattre. De trouver un moyen de prévenir, des yeux, ma mère, leur père, le sable, n’importe qui ou quoi pour que. Mais rien ni personne n’a rien vu.

« Tu rencontreras un beau prince qui te rendra heureuse et te couvriras de richesses ». Depuis je sais. J’ai fait depuis ce que j’ai pu, mais je ne pouvais pas grand-chose. Au moment où j’écris ces lignes à l’ordinateur, je sais. Je sais qu’elle est encore assise devant cette diseuse, hypnotisée par ses mots. Je ne peux rien faire, alors le matin je la mets dans la boucle, tous les matins. C’est tout ce que je peux faire. C’est mieux que rien, surtout pour moi, et je ne m’illusionne plus du reste. C’est tout ce que je peux faire.

Parfois je me demande pourquoi j’entend ce que j’entend et surtout pourquoi je suis la seule à les entendre ? A quoi ça sert ? Si je ne peux rien en faire ? Si je ne peux prévenir personne ? si je ne peux protéger personne ? A quoi ça sert si je ne peux pas protéger ma petite sœur ?

Alors j’ai choisi « Humanités ».

Il me restait encore un peu d’espoir à ce moment-là. Il me restait encore quelques matins à passer.

Plus exactement, j’ai choisi « Littérature », contre toute attente, surtout les miennes. Mais j’ai senti quelque chose. C’était au moment de choisir un directeur de recherches. J’ai choisi en fonction d’un être qui, je le sentais, me permettrait de passer un obstacle. Lui avait des « trésors » qui seraient bien plus utiles, pas dans l’immédiat, mais plus tard, bien plus tard. Tellement tard, que l’heure n’est pas encore venue, je le sais. Mais elle viendra, je le sais. Je le sens. Donc je le sais.

Peut-être que je ne suis moi aussi qu’en train d’attendre mon beau prince, peut être que je me fourvoie à essayer de libérer les « Humanités » de l’humanité, peut-être que tout cela n’est rien, mais au moins j’aurai essayé, même mal, même de travers. Après tout, moi aussi « j’y crois ». Peut être aussi que je n’aurai fait que m’entraîner pour une autre fois, va s’avoir.

Aujourd’hui donc, pas de pains perdus, surtout pas de service. J’ai des fourmis dans les doigts tellement j’ai froid à taper sur le clavier. Pourtant je n’ai pas fini, il m’en reste encore au moins un morceau ce matin. Après je pourrai me reposer un peu.

Je me suis inscrite au CAP cuisine pour mai prochain et à un stage de cuisine pour adulte en décembre. J’avais un programme en tête. Je devais passer le mois d’octobre à m’occuper des légumes. Pour ce faire, j’ai, le jour de mon anniversaire, demandé à Blanche de m’offrir mes premiers couteaux. Je voulais faire les choses « bien », dans l’ordre. Lasse, le magasin dans lequel nous sommes allées, spécialisé, n’avait rien d’enchantant pour un rituel. J’ai quand même fini par choisir quatre couteaux, dont mon préféré, le filet de sole. Je ne sais pas pourquoi, mais je sais que je n’aurai pas de problèmes avec les viandes et les poissons. Par contre les légumes. Et ce couteau éminceur de vingt centimètres. C’est lui qui me fait peur.

Le lendemain de l’achat, j’ai ramené mes nouveaux couteaux à la Détente, pour pouvoir m’y entrainer le moment venu. Lasse, le moment n’est pas encore venu, et nous sommes le 29 octobre. Et ces couteaux me font toujours aussi peur.

Quelques jours plus tard, nous trainions ailleurs, dans un autre magasin aux couleurs apprêtées pour la vente cette fois. J’y trouve très facilement la douille à St Honoré qui me manquait, mais j’oublie encore de prendre les poches qui vont avec. Tant pis, je vais finir d’user celle que j’ai acheté il y a six mois.

Juste avant de partir, et alors que Blanche avait déjà réglé les achats, je tourne autour d’une table dont la pancarte « -50 % » ne m’avait pas encore imprimé le cristallin. Je tourne autour d’un grille-pain gigantesque et rouge totalement inadapté sauf à vouloir impressionner quelques invités matinaux. Sous un autre appareil dont je ne me souviens  même pas, je vois dépasser le manche d’un couteau. Je le reluque quelques secondes avant de me décider à essayer de le prendre en main.

Détail important : j’ai des mains d’enfant. Je veux dire, vraiment. Déjà quand je travaillais aux huîtres, il fallait que je me fasse commander mes gants taille 6 pour être sûre d’en avoir tant j’étais la seule à avoir de si petites mains. Ce qui fait une grosse différence quand il s’agit de choisir des couteaux. Je voulais les plus légers possible, espérant là encore qu’ils me blesseraient le moins possible. C’est pour ça que j’avais choisi les couteaux de la marque espagnole. Ils étaient plus légers. Mais je les avais rangés pour ne jamais les ressortir. Celui qui était sur la table, quand je l’ai pris en main, j’ai tout de suite senti qu’il n’était pas léger. Mais j’ai senti autre chose. Il n’était peut être pas léger, mais tellement équilibré, on aurait dit qu’il était fait à ma main, ou presque. Bien sûr j’ai encore demandé à Blanche de me l’offrir, mais cette fois en rentrant, j’ai chopé le premier légume à couper pour l’essayer. C’était un oignon. Et qu’il était fluide le mouvement, que j’étais à l’aise. Je ne l’ai pas réutilisé depuis cependant. Les deux tendinites au deux bras me font encore un peu peur. Mais je sais que ce n’est pas lui qui me blessera. Il ne reste plus qu’à ce que je ne blesse pas moi-même.

Mal écrit ?

Certes, certes.

Mais écrit tout de même, jusqu’au bout de ce matin. Il est 7h59. Et les épaules me commandent d’arrêter pour aujourd’hui. C’est déjà pas si mal.

4000

4000

Comment j’ai fait pour ne pas le voir avant ?

Tout cet espace.

« En mode public »

Cela fait un an que j’ai repris en main la fiche établissement sur le célèbre moteur de recherches, histoire de vérifier et de corriger les erreurs les plus grossières afin de perdre moins de temps avec les questions du genre : « il y a des plats pour les végétariens ? vous fermez à quelle heure ? on est 12, c’est possible ? ». Bon, ayant corrigé ces infos sur la dite page internetique, je n’ai plus eu à répondre qu’à une dizaine d’instances de chaque cette saison, c’est déjà ça.

Il m’aura fallu quelques semaines pour « oser » répondre aux commentaires. Après tout, je ne suis que « la serveuse ». Mais ça a fini par m’amuser, un peu. Un peu d’anglais, un tout petit peu d’espagnol, et la cruelle désillusion du rapport inverse entre années passées à apprendre l’allemand et restes de vocabulaire. « Entschuldigüng ! »

C’est marrant parce que cette saison, on n’avait pas eu de commentaires négatifs. Jusqu’à il y a deux semaines. Sommes-nous victimes de notre succès ? Cette année, pour parler de succès il faudra repasser. Et victime, merci mais non merci. 48 ans passées à tenter d’endosser un costume qui ne m’allait pas, donc je laisse aux autres.

Les deux premiers j’ai tenté d’expliquer, limite de justifier. Pour quoi ? Pour qui ? Par peur que d’autres passent sur cette fiche et se détournent de notre établissement devant la grandiloquence de certains ? Fort probablement. La plupart du temps, j’arrive à me secouer assez les restes de connexions neuronales pour me rendre compte que ceulles et cels qui s’arrêtent à ce genre de commentaires pour ne pas venir chez nous, bah vaut p’t’être mieux en fait. C’est mal écrit, mais le fonds de la pensée l’est moins.

L’établissement dans lequel je travaille, et que Blanche a créé il y a 15 ans dans la maison de ses parents, ne s’accommode pas de n’importe quels « clients ». Quelques, heureusement rares, fois où le casting fut mal organisé, personne n’y avait trouvé son compte, c’est comme ça. « pourquoi vous ne faites pas de pommes de terre ??? ». Ben justement, parce que. C’est un contrat préliminaire qui permet de poser des bases concrètes entre « nous » et « eux ». Etes-vous prêts à découvrir quelque chose ou êtes-vous venus avec vos idées à placarder vaille que vaille sur quoi que ce soit ? Il y a plein d’autres restaurants dans le village, Monsieur, Madame, n’hésitez pas à faire le tour.

Il y a plein de restaurant qui ne font pas de pommes de terre à l’année, parce que figurez-vous qu’il y a même une saison pour la patate. Mais rare sont ceux qui l’affichent fièrement, en étendard. Je suis pour la « no patate pride » ! ca me donne même l’envie d’en faire un char et de défiler le long des bords de Loire, seule avec mes pommes d’arbre, mes carottes, mes poivrons, mes courgettes, mes champignons, mes aubergines, etc. selon la saison…nue et bleue pour femmage.

Avec un damart peut être quand même, frileuse la bestiole.

Où en étais-je ?

Ah oui, le troisième commentaire d’octobre. Sur le prix. La valeur considérée pour le troisième fois comme surévaluée par rapport à l’expérience dite client. Par deux fois j’ai expliqué que, tout en remerciant pour « ce commentaire qui se veut constructif, nous en aurions discuter avec plaisir de vive voix si vous nous en aviez fait part, car le parti pris de notre endroit est bien celui que vous désignez comme notre point faible, mais pas de la façon dont vous le percevez. La cuisine intuitive de la cheffe a été apprise non pas « sur la tas » comme vous l’avancez, mais en famille à l’aide de livres anciens sur la cuisine ancienne, et ceci fait l’identité de ce lieu, désolée qu’il ne vous ait pas plu, mais cela ne mérite certainement pas votre mépris. Les prix quant à eux sont fixés en fonction de la quantité de travail fourni et des prix des produits achetés pour préparés les plats, l’intuition est offerte, elle est d’ailleurs partout, pas que dans les plats, dans le mémoire de Master 2 présent dans la salle qui parle de Denton Welch, dans les peintures de Blanche Breton qui est, notamment, bijoutière joallière de diplôme, et simplement dans l’ambiance de la maison des parents qui vous ont acceuillis chez eux. J’espère que vous trouverez un endroit qui vous conviendra mieux que chez nous, et que vous aurez l’obligeance de faire part de vos jugements en premier lieu en direct aux premiers concernés, Alexia, la serveuse, chercheuse en littérature anglaise du 20eme siècle, par diplôme également. » ou ici : « je suis la serveuse qui s’est occupée de vous et je me souviens bien de vous, vous êtes malheureusement arrivés au moment du « coup de feu » et je n’ai pas pu échanger avec vous comme j’aurais voulu. On peut dire beaucoup de choses sur la cuisine de Blanche, la cuisinère, mais pas qu’elle n’est pas assaisonnée. Cela étant, je veux bien reconnaître que vous avez attendu un certain temps à ce service-là. L’assaisonnement est fait pour un palet français, c’est-à-dire qu’il ne peut pas forcément répondre à tous les palets, mais je me souviens aussi qu’à ce même service j’ai eu de très beaux compliments sur les légumes préparés, or vous avez eu les mêmes légumes. Une faute de choix de restaurant peut être? cela arrive et je vous souhaite de trouver celui qui saura répondre à vos attentes, et j’insiste également sur le fait que tout ce que vous avez eu a été préparé sur place à base de produits frais, c’est aussi pour cela que l’assaisonnement laisse la place aux gôut des aliments qui varient selon les saisons. Bref, je vous souhaite un bon voyage et de belles rencontres gustatives ailleurs, Alexia, la serveuse. »

Mal écrit ? moui, forcément écrit quand pu écrire, c’est-à-dire vers les 5 heures du matin, en m’appliquant de la pommade sur la moitié du corps afin de pouvoir retourner faire des pains perdus sans les perdre eux, les bras je veux écrire.

Alors la troisième fois, comment l’écrire ? Un essoufflement ? oui, c’est un peu ça, un essoufflement. Mais en bonne ancienne sportive de presque haut niveau, entendez par là que je n’ai jamais fait l’effort de profiter du corps que la nature a généreusement mis à ma disposition pour en profiter et aller glaner plus d’une médaille départementale, je sais bien que c’est là, précisément, que « ça » se passe.

Et  »ça » s’est passé.

Au moment de répondre, comme les deux premières fois, justifiant avec ce qu’il faut d’arrogance puisée au fonds d’un manque de confiance en soi enveloppé dans un manque de diplôme référent à l’activité, j’ai vrillé. J’ai même mis, comme dans le bon vieux temps, une chanson en boucle pour me motiver à aller plus loin dans le cynisme le plus, le moins, toussa.

Puis. Dans un faible éclair de lucidité, « et si je lui mettais le texte que personne ne lit plus ? ». Et hop, je lui colle le lien « Space and Time ».

A ce moment-là, Edith en boucle dans les oreilles, et après m’être fait plaisir avec une demi-heure de recherches sur Savonarole, je sais. Je sais que je ne sais pas. Mais je ne peux pas ne pas. Alors je laisse tel quel et je retourne me coucher. Parce qu’il n’est pas encore 8 heures et que je peux grapiller encore quelques dizaines de minutes de « repos ». Mais en me levant, je sais. Je sais que je sais.

Je retourne sur ledit commentaire, j’efface et je copie/colle uniquement le texte.

4000

 

Comment j’ai fait pour ne pas le voir avant ?

 

4000 caractères. C’est largement suffisant. Je sens que je vais m’amuser l’année prochaine…

Space and Time

-You can’t lose time since you can’t have it…, dis-je dans un éclair de lucidité.

-…You can make Time. Me répondit-elle en m’ouvrant grand les écoutilles du dedans.

05/08/2024

Je date toujours tout. Mon journal des rêves, les rencontres avec des clients « spéciaux » dans un endroit « spécial » dans lequel je joue à la serveuse non-professionnelle un peu « spéciale », chaque jour dans mon semainier, etc ?J’ouvre un énième document et je commence par mettre la date. Aujourd’hui, j’ai commencé avec un tout petit morceau d’échange avec deux personnes « spéciales » dans un endroit « spécial » et nous, Blanche et moi, deux spécimens tombés d’on ne sait où, même pas nous-mêmes.

Nous sommes en pleine préparation pour la journée, il est 10 heures du matin et on a déjà fait une quinzaine de petit-déjeuners, on n’est pas en retard, mais il n’en faudrait pas beaucoup plus.

« -Vous avez du café ?

J’entends l’accent, j’enchaine direct en anglais, je préfère que le message passe bien sur la qualité dudit liquide chaud et noir.

«-Filter coffee ! No expresso… »

Deux fois sur trois je sais que ça suffit pour que les gens aillent chercher un meilleur nectar ailleurs, là je l’ai senti tout de suite. Mais.

« -Oh…déceptif, je mettrais bien plusieurs « o », mais je ne voudrais heurter aucun cristallin de lecteur. Le monsieur est donc déçu, la dame ne dit rien, elle attend que monsieur décide.

« -But it smells so good…I …Okay, let’s go for a filter coffee, do you have any cakes…?

-Sure…for the breakfast, I speak more about the “pain perdu caramel”, a kind of breadpudding with caramel at the top of it…sentant l’intérêt modéré de mes interlocuteurs pour cette production personnelle, je poursuis. Here, homemade tarts, lemon or peach and orange or ˈeɪ.prɪ.kɒt[1].

-We’ll have one of this and on of this.

-Ok. With two coffes then?

-Yes.

Ils s’assoient table Montgolfière. La table à laquelle ils ont accès à tous les bonus possibles de l’endroit vers l’envers, il suffit pour cela de percer et voir. Beaucoup voient bien les peintures de Blanche, d’autres le faux marbre de 1910, rénové par Blanche il y a 10 ans. D’ailleurs, d’après un de nos clients il y a quelques années spécialisé dans l’import/export de marbre, au cours de celui-ci à ce moment-là, le faux marbre valait plus cher que le vrai. Certains parcourt toute  la collection de magazine Geste/s[2], d’autres des livres que je n’ai pas lu mais dont je connais les autrices et ça me suffit à les positionner là. Na. Il y a ceux qui prennent en main le mémoire de Master 2, Le Paradoxe de Denton Welch, petite production personnelle là encore, pour le reposer un peu plus tard se rendant compte que la serveuse s’appelle Alexia.

 

Très peu de gens percent et voient la petite affichette avec marqué dessus « Du salon de thé au Salon de T ».

Un bac de pommes et deux plaques de poivrons épluchés plus tard :

-Your name is Alexia ?

-Yes, répondis-je étonnée, je ne les ai pas vu prendre le mémoire, ni aucun objet sur la tablette face à la table montgolfière.

-You wrote that ? pointant l’affichette.

-Oh…yes. That’s me.

Vous écrire que les minutes qui ont suivies sont indescriptibles, que Blanche a eu les larmes aux yeux et que tous les poils de mes avant-bras ont frémis, serait encore loin d’une description fidèle.

Un poète, écrivons-le ainsi en espérant ne rien limiter, déclamant ce qu’il perçoit de l’endroit/envers où il se sent être.

Qu’il répète love à l’envie parce que c’est ce qu’il ressent dans chaque atome bu, mangé, inspiré et expiré, dans chaque neutrino à qui on a bien voulu foutre la paix pour qu’il fasse ce qu’il veut dans un aussi petit espace[3] ne rendrait pas le  10-16 m ou 1 dix millionième de milliardième de mètre de l’expérience vécue à ce moment-là, là.

Alors pourquoi l’écrire ? Si c’est unwritable, pourquoi tenter de le write ?

Parce qu’au-delà des mots, entre les lettres, dans les lettres, il y a quelque chose qu’il suffit de laisser danser, sans jamais croire contrôler quoi que ce soit, pour qu’une lecture permette de percer et voir.

-« And the coffee was so good!

-Thank you. »

[1] https://dictionary.cambridge.org/fr/prononciation/anglais/apricot#google_vignette

[2] https://www.beauxarts.com/geste-s/

[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/Neutrino

Salon de T, Préquel 1,2

22/05/2024

Le pu et l’impur

Mercredi : apprendre à écouter sans n’entendre que soi.

Oh que je n’aime pas les mercredis. Apprendre à écouter l’autre, mais en plus sans n’entendre que soi ? Mais je veux bien moua, mais il est où le mode d’emploi ???

Comment peut-on entendre autre chose que soi avec le peu de moyens que la Nature a mis à notre disposition ? Les Zoreilles ? Les miennes sont petites et pas au même niveau si j’en crois le décalage entre mes deux branches de lunettes. Les Zyeux ? Je n’en ai plus qu’un qui fonctionne parait-il. Le goût ? je fume tellement que s’il me reste de quoi sentir quoi que ce soit, ça ne peut être que les saveurs les plus inconfortables. Le toucher ? Sérieusement, le toucher ? L’odorat ? je préfère encore y mettre toute la fumée de mes cigarettes que quelque autre odeur que ce soit.

Ouè, je suis de « mauvaise humeur ».

 

J’ai mal dormi, j’ai mal aimé, j’ai mal haï, j’ai mal quoi.

Hier matin, je me suis levée avec ça : « le pur et l’impur ». Sur le coup, ça me paraissait parfait. C’est là que je veux aller. C’est par là que. J’en suis sûre, persuadée, j’en ai l’intime conviction à défaut de toute autre intimité, et cætera. Avec a dans l’e, ou pied dans le plat.

Lors d’un de mes derniers rendez-vous avec mon directeur de recherches lors de la rédaction tardive de mon précieux, le mémoire de Master 2, je suis arrivé avec juste le titre de la troisième partie. Je le lui ai dit d’ailleurs, après avoir passé presque une heure sur les erreurs de rédaction des deux premières parties.

 » -je vous préviens, je n’ai que le titre de la troisième partie… »

La feuille, avec le titre en majuscule était noyée sous les autres. Je la recherche rapidement en essayant de ne pas perdre le fil des autres corrections, c’est qu’il me restait un mois pour terminer toute la rédaction du mémoire.

Il lit le titre. Je guette un peu sa réaction, je sais qu’il va y en avoir une, je fais rarement dans la fausse modestie.

« Ah ! »

Oui, ah ! comme il dit. Mais ce n’est qu’un titre, je n’ai rien d’autre pour le moment, en tout K pas sur papier.

« Je vous préviens, vous ne tournez pas sur le jeu de mots, hein ???!!! Vous le faites ???!!! », de mauvaise mémoire, mais c’était l’esprit de ses syllabes prononcées.

 » Oui, oui… « , puis je me suis remise aux corrections des deux premières parties. Peu après, le rendez-vous était terminé, je savais bien que tout n’avait pas pu être corrigé, d’ailleurs je lui lançais une dernière question avant de partir :

« Sur le passage sur Rudolf Steiner, je n’en fais pas plus hein ? »

Il n’utilisa que son corps, notamment les muscles de son visage, tous je crois bien, pour me répondre. Non. Pas plus. Surtout pas.

Le titre de la troisième partie : « La Faim de l’Innocence ».

J’ai toujours mis des majuscules partout, un reste d’enfance de l’est avec allemand deuxième langue peut être ?

Le salon de T, Préquel(le, lent, les, lées, lés, ect.).

17/05/2024

Vendredi : apprendre à écouter l’autre en ne le niant pas puis en l’écoutant, dépasser la sensiblerie et la susceptibilité.

Cela fait un peu plus de deux ans je crois que tous les matins j’ouvre le dossier « semainier » de mon ordinateur et je pioche le fichier en lien avec le jour de la semaine. Aujourd’hui, c’est vendredi.

Cela fait un peu plus de deux ans je crois que tous les matins j’ouvre le dossier « semainier » de mon ordinateur et je pioche le fichier en lien avec le jour de la semaine, même les matins où je ne crois à rien. Aujourd’hui, c’est vendredi, et c’est pas mon jour préféré. Le mercredi non plus d’ailleurs, qui en est une variante peu douce à mes yeux d’oreilles.

 

Cela fait un peu plus de deux ans je crois que tous les matins j’ouvre le dossier « semainier » de mon ordinateur et je pioche le fichier en lien avec le jour de la semaine, même les matins où je ne crois à rien. J’écris depuis longtemps, dans tous les sens. Pendant longtemps j’ai plus crié qu’écris d’ailleurs. Aujourd’hui, c’est vendredi, et c’est pas mon jour préféré. Le mercredi non plus d’ailleurs, qui en est une variante peu douce à mes yeux d’oreilles. Les deux parlent d’ « écouter l’autre », cet être étrange qui ne m’a que si rarement écouté moua, mais même moua doit bien avouer qu’un peu des fois quand même, alors j’ai une vague idée de ce que cela signifie.

 

Cela fait un peu plus de deux ans je crois que tous les matins j’ouvre le dossier « semainier » de mon ordinateur et je pioche le fichier en lien avec le jour de la semaine, même les matins où je ne crois à rien. Pourquoi ? je crois qu’avec le temps j’ai appris à m’en foutre un peu, ce qui n’est pas anodin. J’écris depuis longtemps, dans tous les sens. Pendant longtemps j’ai plus crié qu’écrit d’ailleurs. Pendant longtemps j’ai cru qu’écrire pouvait me sauver de la folie de l’intérieur de mon corps. Aujourd’hui, c’est vendredi, et c’est pas mon jour préféré. Le mercredi non plus d’ailleurs, qui en est une variante peu douce à mes yeux d’oreilles. Les deux parlent d’ « écouter l’autre », cet être étrange qui ne m’a que si rarement écouté moua, mais même moua doit bien avouer qu’un peu des fois quand même, alors j’ai une vague idée de ce que cela signifie. « Je » existe au milieu de quelque chose d’autre.

Cela fait un peu plus de deux ans je crois que tous les matins j’ouvre le dossier « semainier » de mon ordinateur et je pioche le fichier en lien avec le jour de la semaine, même les matins où je ne crois à rien. Pourquoi ? je crois qu’avec le temps j’ai appris à m’en foutre un peu, ce qui n’est pas anodin. Il y a quelques années déjà que cette expression me taraude. « Se foutre de ». J’en avais cherché l’origine, je dois bien avoir un fichier ou deux là-dessus quelque part. S’auto-ensemencer. N’avoir besoin de personne pour se créer. J’écris depuis longtemps, dans tous les sens. Pendant longtemps j’ai plus crié qu’écrit d’ailleurs. Pendant longtemps j’ai cru qu’écrire pouvait me sauver de la folie de l’intérieur de mon corps. Puis j’ai cru que j’allais sauver des Jeans ou des Jeannes ou des Jeanes ou des Jeanns, ect. Aujourd’hui, c’est vendredi, et c’est pas mon jour préféré. Le mercredi non plus d’ailleurs, qui en est une variante peu douce à mes yeux d’oreilles. Les deux parlent d’ « écouter l’autre », cet être étrange qui ne m’a que si rarement écouté moua, mais même moua doit bien avouer qu’un peu des fois quand même, alors j’ai une vague idée de ce que cela signifie. « Je » existe au milieu de quelque chose d’autre. Ce quelque chose est vaste, trop souvent insaisissable, trop fluctuent, trop indéterminé, trop trop. C’est pour cela que, bien souvent, je préfère rester dedans. Au chaud de mes ombres, à l’intérieur de ce corps quitte à risquer la folie, la désespérance, ect., certes, mais ce sont les miennes, celles du dedans.

 

Sauf que. Sauf que c’est une illusion. Une belle, cela va sans dire, mais une illusion tout de même. Tout passe, aucune frontière n’est hermétique.

Le salon de T Episode 4,1

10/05/2024

Bernard…Pivot

Etre sans blesser qui que ce soit ou quoi que ce soit

Vendredi : apprendre à écouter l’autre en ne le niant pas puis en l’écoutant, dépasser la sensiblerie et la susceptibilité.

-Bonjour Madame, je vous écoute…

-Nous avons réservé pour quatre…

-Ah oui, c’est en face, au soleil. Allez-y, je vous suis.

Et nous voilà parti à traverser la grand rue du village, la rue du maréchal de Lattre de Tassigny. Plus long ? Ils ont pas trouvé, m’est avis qu’ils n’ont pas trop cherché non plus. Ca se trouve, plus long.

Nous voilà arrivés sur la terrasse au soleil, je leur désigne la table Henri. Henri parce que la table est à côté de la maison d’Henri, voisin allemand qui vient deux ou trois fois l’année, ami des parents depuis longtemps, malgré la barrière de la langue. Ils tiennent, lui et sa famille, à parler français, mais à chaque fois on sent bien qu’ils ont le même niveau que moi en allemand : bon pour la grammaire, peu de vocabulaire. D’ailleurs il faudra que je m’y remette sérieusement un jour si je veux pouvoir lire Heidegger dans la langue…

La terrasse du métamicien, cela fait maintenant quatre ans que nous l’utilisons comme extension à la terrasse de la Détente. A la base, nous avions acheté le bâtiment pour que je puisse y faire « mon centre de recherches à moua toute seule » puisque je ne voulais, ne veux toujours pas, m’affilier à une université. Enfin, j’y arrive surtout pas. J’aime travailler « seule ». Le bâtiment a trois étages dont deux sont visibles de la rue, le troisième, le sous-sol, n’est visible que côté Loire. Et encore, on le devine plus qu’on ne le voit quand la végétation s’exprime pleinement. En ce moment, elle s’exprime pleinement.

La terrasse se trouve au niveau de la rue, et le dernier étage me sert de bureau. Enfin, me servira de bureau un jour. C’est en cours d’aménagement depuis cinq ans, tout comme l’exposition des toiles de Blanche.

Les gens s’installent.

On a toujours essayé de faire un décor qui nous ressemble, pour être raccord avec le côté « historique » déjà, qui est floralement entièrement entretenu par Brigitte, la mère de Blanche. Et c’est bien heureux. Si je m’avisais de penser à m’en occuper, le décor serait littéralement beaucoup moins vivant. Je  n’ai jamais eu de vert sur les mains. Donc je m’occupe principalement de ce qui apparait « sans vie », des soupières qu’on utilise pas mais que Blanche achète en quantité diamétralement opposée à l’utilisation qu’on en fait, et puis il y a le service de mémé Alice, que j’ai récupéré à sa mort. Tout le service qu’elle a eu à son mariage, probablement dans les années 1950, de Sarreguemines. Quand je l’ai récupéré, c’était pour le mettre à la Détente. Je me suis dit que puisqu’il n’avait jamais servi de sa vie à elle, il pourrait, je l’espérais en tout K, permettre d’arranger un Karma ou deux. Petites pensées à elle de temps en temps.

Les gens s’installent table Henri, sur laquelle j’avais préalablement déposé en décor la soupière de mémé Alice, remplie d’une collection d’œuvres françaises Zincontournables, jamais lues, dans une vieille édition récupérée auprès d’une voisine qui devait vider une maison qu’elle venait d’acheter. Il y a notamment du Baudelaire et du Diderot de mémoire. Jamais lus.

Les gens sont installés table Henri, une famille avec le père, la mère, le fils et la fille, ils sont quatre. Je les installe, leur explique le fonctionnement du restaurant et repart en coulisses pour aider Blanche.

Je reviens quelques minutes plus tard pour prendre la commande.

« -c’est formidable, cette soupière…on dirait un hommage à Bernard Pivot…vous savez Boullion de culture… »

Précision : cela fait deux ans que je mets cette soupière à droite, à gauche, en haut, en bas, sur les meubles, sur le frigo,  bref, qu’elle se balade dans tout le métamicien au gré du temps que j’ai à lui accorder et de mes envies.

Le visage de la femme est ouvert, contente d’avoir trouvé un endroit comme celui-là, et cette soupière lui fait penser que oui, décidément, elle est dans « un autre endroit ».

Las. J’ai trente secondes, peut être moins, pour me décider. J’ai hésité au moins cinq d’entre elles, puis j’ai pris la décision :

« -Je comprends…oui, c’est vrai qu’on pourrait dire ça…mais je vous préviens tout de suite, je ne suis pas fan du personnage… ».

Le visage de la femme se referme un peu, probablement parce qu’elle sait déjà ce que je vais dire, et j’aurais aimé avoir pris le temps de le formuler autrement :

« Oui, je vois ce que vous voulez dire, mais il a quand même reçu beaucoup de monde, tellement de gens…

-Effectivement, et il a aussi reçu Matzneff. »

Je n’ai pas pris le temps. J’aurais dû.

J’aurais du prendre le temps de lui dire que ce n’est pas du tout parce qu’il a reçu Matzneff que je ne suis pas fan du personnage. Premièrement, je ne suis fan de personne. Encore moins de moi. Quoique. Ca se discute. Bref, ce n’est pas parce qu’il a reçu Matzneff. C’est plutôt parce qu’au moment du grand méa culpa de la Littérature Française au sortir des années 70, il a fait un choix éditorial que je n’aurais pas fait. Mais je n’aurais en même temps jamais atteint son poste.

Il a arrêté de recevoir un certain Tony Duvert. Qui a écrit notamment « L’île atlantique », toujours pas lu, mais dans le bureau à l’étage en prévision de quand j’aurais du temps. Ce que j’ai lu de lui pour y goûter c’est  « Le Bon Sexe illustré », qui m’a à la fois fait rire, mais rire, et c’est très rare, et à la fois m’a agacé au plus haut point parce que j’y voyais tout le cheminement faussé et bon à la fois. Comme si il avait cru courir dans un territoire inconnu de tous, mais qu’il s’était retrouvé balisé par toute une culture qu’il n’a pas vu venir. Bref, il s’est fait avoir par son époque. Et ce style !!! Classe !!!

Donc Bernard Pivot, à la bonne époque, parle de lui comme des autres, loue son style et plus encore. Mais au moment de la Grande Lessive Télévisuelle, Tony refuse de se renier en quoi que ce soit. Refuse de s’excuser. Refuse. Refuse. Et refuse encore.

Défendre ou encenser un mort, quel intérêt ?

Sur le fronton de la maison des parents, rue du maréchal de Lattre de Tassigny à Chaumont sur Loire, comme sur toutes les maisons où les parents ont vécu, il y a une inscription, une citation de Lamartine. Ils y tiennent énormément. Sur bois et amovible pour respecter les conditions des Bâtiments de France.

« Objets inanimés, avez-vous donc une âme, qui s’accroche à la notre et la force d’aimer ? »

Quand les clients me le demandent, je leur répond qu’il y a des jours où je la comprends, et d’autres non.

Le salon de T Episode 4 Oh la belle bleue… !

08/05/2024

Corrections de Blanche à 8:39 le 08/05/2024

Le beL Esclandre…

Il était un peu plus de 14 heures ce mercredi 1er mai au salon de T, Blanche et moi venions de servir avec succès à peu près 25 clients, quand un homme ouvrit la porte du salon de T.

Un peu fatiguée par ce premier service « de saison », entendez par là premier coup de feu, entendre par là premier service où jongler avec les commandes est nécessaire, je me retourne vers l’homme et le salue :

« -Bonjour monsieur, c’est pour… ?

-Prendre un T…entendez par ces trois petits points que la suite va déraper.

-Combien êtes-vous Monsieur ?

Oui, parce que je viens de servir plusieurs tables de tailles différentes pendant deux heures, donc je me renseigne sur la taille du groupe avant que de pouvoir lui répondre…

-Nous sommes 70, il y a un bus là-bas !!!, entendez par ces trois points d’exclamation que la Scène a commencé, le Mépris est là, bien en place, et qu’il n’attend que moi pour lui répondre.

-Ah…à ce moment-là monsieur, ce ne sera pas chez nous, mais à la Guinguette.

Rires un peu étouffés des clients encore présents et comblant l’intérieur de l’établissement. L’un d’entre eux, un habitué aux cheveux blancs que j’aime bien, se risque même à souligner « elle était bonne celle du bus… » et moi de lui répondre « non, pas là », mais je  n’ai certainement pas le temps de gloser là non plus. Blanche comprend, et me demande d’aller m’occuper des gens sur la deuxième terrasse, elle va s’occuper du monsieur. Cela vaut mieux. Certes, certes. Je commence à avoir faim.

Je passe donc de l’autre côté et ne prend plus en charge ce client. Au fur et à mesure de mes allers/retours, j’entend Blanche prendre soin de lui et de son besoin de reconnaissance. Je n’ai pas le temps de m’y arrêter plus.

Las, Blanche est la seule à cuisiner. Il y a bien un moment où il faudra que je le « serve », mais très honnêtement je l’avais presqu’oublié quand Blanche me demanda :

« Tu peux lui mettre l’eau chaude ? J’ai préparé sa tasse…il a pris une tarte aussi, là. ». Je m’exécute, comme durant les deux heures précédentes. Je prends la théière, la remplit de l’eau chauffée à la bouilloire à 80 degrés pour une infusion qualitative, l’assiette à dessert avec la rose bleue, trouvée il y a deux ans à Emmaüs, les couverts, la serviette, et en passant près du vaisselier, la tasse de thé préparée avec la petite tasse à l’intérieur pour la boule à thé.

Je dépose le tout sur la table verte à l’extérieur, là où le monsieur s’est installé, sans rien dire, je dois encore filer de l’autre côté pour m’occuper des autres clients.

En revenant, le monsieur m’interpelle. Comment exactement, de là tout de suite sur mon clavier j’avoue que les images sont floues. Toujours est-il que Mépris était là, juste entre nous.

« Mademoiselle, je ne peux pas mettre la boule à thé dans la théière… »

Précision importante : je ne suis pas de l’équipe Thé, je suis de l’équipe Café. J’ai appris depuis 5 ans à répéter ce que j’ai entendu sur la petite cérémonie de « L’Heure du Thé » que nous pratiquons ici. A savoir que le service posé devant lui est censé lui servir à pouvoir se resservir plusieurs fois de l’eau chaude, quitte à nous en redemander pour respecter la petite cérémonie. Grave erreur.

 

« Mais vous n’y connaissez rien !!! Au contraire, justement !!! Pour L’Heure du Thé, je suis censé pouvoir mettre la boule à thé dans la Théière !!! c’est cela le rituel !!!

 

A chaque point d’exclamation j’ai joué la partition qu’il avait bien voulu me laisser, celle de la serveuse idiote-bête et inculturable : « Pas ici, monsieur. ». Je le lui ai répété presque une dizaine de fois je pense, avant de couper court, rentrer et claquer la porte juste à ses oreilles.

Un autre client, qui avait été là pendant les deux heures précédentes, me montre la porte des toilettes en face de moi et me dit d’aller me soulager…gentiment. Ce que je fis. Quelques secondes, las je n’en avais pas plus, il y avait toute la vaisselle à faire, et toujours les autres clients à s’occuper.

En sortant des toilettes, le gentil monsieur me demande l’addition. Je m’exécute et encaisse le tribut. Je suis donc entre la cuisine et la salle quand Monsieur entre pour tenter de m’expliquer encore une fois Comment, Qui, Pourquoi, et tout le reste si j’ai au moins une connexion neuronale de disponible pour intégrer tout ce Savoir Incroyable qu’il veut bien daigner me Transmettre.

Mais. Mon corps, et surtout mes yeux,  lui répond que rien ne passera. Il finit par le comprendre. Par l’accepter à sa manière :

«  Mais c’est normal que vous ne sachiez pas faire le thé, vous êtes française et donc vous êtes fasciste ! »

Blanche : « offre-lui ses consommations et qu’il se barre… »

Le Monsieur : « ah ! voilà ! quand même ! »

Et Blanche ajoute: « Et ce n’est pas la peine de revenir, Monsieur! »

Il est tout furibond, mon corps, sans me demander mon avis, suit celui du Monsieur dans la salle jusqu’à la porte. Et au moment où il a voulu claquer la porte, se met entre lui et la porte, si bien que la porte n’a claqué que sur mon dos sans faire le moindre bruit. Ultime offense.

« Ce qu’il y a l’intérieur de vous, mademoiselle, n’est pas beau! ».

J’aimerais vous dire que je l’ai laissé partir, seul. Non. Je n’ai pas atteint ce niveau. Je l’ai un peu poussé par l’air qu’il y avait entre nos corps, et surtout en laissant le mien avancer sur la terrasse, pour être sûre qu’il finisse par descendre les marches du salon de T et qu’il ne soit plus « dans notre espace ». Une fois fait, je n’ai pu retenir une phrase mal fagotée : « ce qu’il y a à l’intérieur de vous est écoeurant »

Quelle est la morale ?

Une autre cliente, qui avait assisté à la scène de loin et à qui j’expliquais le pourquoi du comment du qui, fit une grimace au moment où je lui explique. Je comprends alors que le Monsieur avait raison. Il se trouve que je lui ai donné exactement la même théière, je le lui signale, et devant moi elle arrive à insérer la boule de thé dans la théière.

Fin de la scène.

slander (v.)

 

late 13c., sclaundren, « defame, caluminate, accuse falsely and maliciously, » from Anglo-French esclaundrer, Old French esclandrer, from Old French esclandre « scandalous statement » (see slander (n.)). Related: Slandered; slandering; slanderer. In early biblical translations also sometimes closer to the Latin literal sense, or with a notion of « stumbling block to faith, grace, etc. »

 

    And who euer schal sclaundre oon of these litle that bileuen in me, it were betere to hym that a mylne stoon of assis were don aboute his necke, and he were cast in to the see. [Mark ix.42]

Le salon de T Episode 3,123

13/04/2024

Violence et Résistance sont en couple depuis maintenant aussi longtemps que le temps existe.

 

La pâtisserie, la cuisine en général.

Battre les jaunes puis les blanchir au sucre.

Cuisiner c’est jouer avec la mort et la violence pour rendre « tout cela » digérable voire « agréable ».

 

Résister

 

A quoi ?

Pour se rendre à l’Evidence, il vaut mieux être bien équipé. Une bonne carte et une bonne boussole sont nécessaires, au sens où le voyage ne peut pas être sans, ou être autrement.

 

20/04/2024

Résister à quoi ?

  1. 1200, gelus, later jelus, « possessive and suspicious, » originally in the context of sexuality or romance (in any context from late 14c.), from Old French jalos/gelos « keen, zealous; avaricious; jealous » (12c., Modern French jaloux), from Late Latin zelosus, from zelus « zeal, » from Greek zēlos, which sometimes meant « jealousy, » but more often was used in a good sense (« emulation, rivalry, zeal »), from PIE root *ya- « to seek, request, desire » (see zeal). In biblical language (early 13c.) « tolerating no unfaithfulness. » Also in Middle English sometimes in the more positive sense, « fond, amorous, ardent » (c. 1300) and in the senses that now go with zealous, which is a later borrowing of the same word, from Latin.

https://www.etymonline.com/word/jealous

“-Mais pourquoi est-elle serveuse ici alors… ? », propos recueillis par Blanche le 19/04/2024 au salon de T, table Marbre, table de six personnes, trois hommes, trois femmes, venus ici sur les conseils d’un guide des routes en ard.

Le matin même, je me décidais enfin à remettre un exemplaire de mon précieux près des autres ouvrages laissés à disposition des gens de pas sage dans le salon de T. Un Rabelais rabelaisien[1], un ouvrage de poésie qui n’en est pas un[2], un livre maison qui se construit toujours[3], un exemplaire de la Revue des Deux Mondes sur le Wokisme, parce que j’espère encore raccrocher le wagon que j’ai raté quand il m’est passé sous les deux yeux, le fonctionnel et l’autre, il y a quelques années de cela,  plusieurs exemplaires de la revue Gestes que je n’ai jamais le temps de lire mais dont j’admire déjà les couvertures[4], et un exemplaire de « Carnaval », livre auto-édité que j’assume assez mal tant je sais que, ben, voilà quoi.

Alors hier matin, quand quelqu’un m’a demandé ce que j’avais pu publié qui ne me mettrait pas mal à l’aise quant au moins à l’engagement pris dans sa rédaction (technique de traduction de l’étoffement, elle m’a juste demandé ce que j’avais écrit d’autre, mais c’est moins…  « littérable »), j’ai parlé de « mon précieux », mon mémoire de Master 2, commis en 2018 à l’université de Tours. Et je me suis enfin décidé à redescendre l’exemplaire qu’il me restait du « bureau du Métamicien » jusque dans la salle du salon de T.

Quand les six réservés se sont installés table Marbre, ils avaient bonne vue sur tous les exemplaires des ouvrages à disposition. Il se trouve que l’exemplaire du Mémoire se voit mieux par son format académique, le A4. Et l’une d’entre elles d’essayer de lire le texte de loin… »c’est quoi ce paradoxe là-bas…c’est un docteur Welsch… ? » oui, j’ai entendu le sch, elle l’a prononcé à l’allemande. Or le titre c’est « Le Paradoxe Denton Welch », en tout K dans le titre, rien d’allemand.

« Non, madame, c’est le Paradoxe Denton Welch, c’est un auteur, et c’est mon mémoire de Master 2… » corrigeais-je en préparant quelque chose pour le service qui s’annonçait finalement moins léger que prévu. Pas le temps d’en dire plus, je les laisse prendre l’exemplaire, le compulser rapidement, lire à haute voix « Interaction Culturelles et Discursives…ah oui, quand même… ». Ce n’est que le nom du laboratoire de recherches auquel n’importe quel étudiant est obligé de s’adosser pour écrire son mémoire, mais ça je n’ai pas eu le temps de leur expliquer. D’autres clients se présentaient déjà à la porte. J’étais quand même contente, un peu fière, mais je n’avais pas le temps de plus.

Puis j’entends une des trois femmes parler de « thèse », là je ne pouvais pas ne pas intervenir, l’erreur aurait pu être grave, en tout K pour moi. Je ne voulais pas qu’on se méprenne, je n’ai jamais prétendu avoir publié une thèse, ça c’est pour après, quand j’aurais plus de temps… « non madame, ce n’est pas une thèse, c’est juste un mémoire…il y aura une thèse, plus tard, mais là, ce n’est qu’un mémoire… ». C’est que je ne voudrais pas voir dévaloriser un travail que je n’ai pas encore produit…

Des clients, une table de deux table Arbre, deux dames, un poulet orange, et un shitaké. Trois personnes table Métamicien, des amis qu’il fait bon revoir après un hiver rigoureux, deux autres qui arrivent « non, pas à l’extérieur, il fait trop froid… ». « Et bien ici alors… » dis-je en leur désignant la table Montgolfière, qui est normalement une table pour quatre personnes. « Ca ne vous dérange pas ? », demande quand même le monsieur, la politesse, la politesse. « Non, monsieur, c’est très jungien… », allez, prend ça en apéro et laisse moi mettre en place ma danse…

Je sens que ce service va être intéressant.

« Bonjour, nous sommes trois…

-je n’ai plus de place à l’intérieur, je peux vous proposer en face, la terrasse au soleil ?

-ah mais même à l’ombre, ça ne me dérange pas, dit le monsieur sans se retourner ni vers sa femme ni vers sa fille qui étaient déjà frigorifiées.

-allons, de l’autre côté pour voir si ça vous convient, je peux vous rentrer une table à l’abri du vent si vous voulez, dis-je en regardant la femme d’origine asiatique qui remontait le col de son manteau. Arrivés de l’autre côté, en traversant la route du village, la fameuse rue du Maréchal de Lattre de Tassigny, le soleil est là. Mais il y a du vent. J’insiste :

« -comme je vous le disais, je peux vous rentrer une table à l’abri du vent, sinon je la laisse au soleil.

-c’est pareil pour moi, on peut rester là, dit le monsieur. Mais pas le corps de sa femme, ni celui de sa fille, j’insiste encore un peu en regardant la femme.

« Oui…je veux bien à l’intérieur… »

Voilàààà. On y est. Je leur installe la table à l’intérieur du Métamicien, à l’abri du vent. Je prends la commande des boissons et je retourne vers le salon de T « historique », de l’autre côté de la rue du Maréchal de Lattre de Tassigny.

En arrivant à la cuisine :

« je prépare le pain ?

-oui, tu peux, ça va sortir pour les trois et les deux. Après on fait les six.

-Ok »

J’adore ça. Ce moment où « il faut gérer », « le coup de feu », le « tout en même temps » mais pas vraiment, il y a largement assez de place pour danser. En tout K, je sais que dans ces moments-là, j’ai le corps fait pour, et il a hâte de pouvoir s’exprimer.

Le service se passe, je virevolte d’une terrasse à l’autre, j’ouvre une bouteille de vin ici pendant que je prends les desserts là, je place là pendant que réponds ici. J’adore ça. Et puis, depuis l’année dernière, il y a « mes desserts ». Et je sais qu’ils font tous mouches.

“-Mais pourquoi est-elle serveuse ici alors… ? », je ne l’ai pas entendue, et c’est heureux. Car j’aurais par trop adoré répondre. J’aurais, pour sûr, trouver la formule qui fait mouche. Je les aurais ébloui de ma prestance physique et mentale, alliées le temps d’une dose d’adrénaline, ou plutôt d’un cocktail de neuro-transmetteurs toujours en cours d’étude par je ne sais combien de laboratoires très sérieux à travers Le Monde, entendez par là le monde universitaire, qui s’il s’affichait à taille réelle sur une « véritable » carte du monde montrerait toute l’étendue de sa petitesse, finalement. Oui ! Mais non. C’est Blanche qui les a entendu et me l’a répété plus tard, heureusement.

Fin de service, deux heures plus tard, à courir, danser, penser mais pas trop. Un règlement par carte bleue, un TPE dans la main, j’étais en pleine transe, toute à ma jouissance de la performance, quand Blanche me parla. Le TPE vola dans l’air pour s’écraser sur le sol. Une partie de seconde à perdre mes yeux dans ceux de Blanche. Qu’a-t-elle dit exactement ? Je ne m’en souviens pas, bien sûr. Je me souviens par contre très bien de ce que j’ai ressenti. J’étais là, au sommet, en train d’achever l’Oeuvre du Service, et quelque chose d’extérieur est venu cassé mon Geste. C’est ab-so-lu-ment insupportable. Comment a-t-elle osé faire ça ? J’y étais presque !

« va te faire foutre. » déclarai-je.

Je pourrais, j’en ai les moyens ou j’ai les moyens de les chercher, gloser sur mille pages à  l’aide d’un Georges Bataille, de mythes perdus, puis retrouvés, puis re-perdus, puis re-retrouvés sur les Raisons qui m’ont fait proférer cette phrase, si doucement, et si injustement.

Au moment où j’écris ces lignes, il y a même une partie de moi, qui gonfle par moment pour prendre toute la place, qui le pense encore, toujours.

“-Mais pourquoi est-elle serveuse ici alors… ? », parce qu’elle n’a pas fini de travailler sur l’humilité. Elle a commencé il y a longtemps, mais à force de tourner sur son nombril elle a pris un peu de retard…

« Oh How I want to be great!

Delusion of Grandeur’s my fate.”[5]

Il est 7h04. On est samedi. Je n’ai pas publié depuis au moins une semaine.

[1] François Bon, https://www.tierslivre.net/spip/spip.php?mot163 .

[2] Delphine Arras, https://editions-ex-maudits.com/produit/sonate-pour-un-bison/ .

[3] Catherine Serre, https://www.maisondelapoesie.com/catalogue/la-maison-de-mues/ .

[4] Gestes, https://www.beauxarts.com/geste-s/ .

[5] DE-LA-NOY, M., The Journals of Denton Welch, New York : E.P. Dutton, 1984, p.3.

Le salon de T Episode 3,12

 

Dimanche : dépasser l’orgueil, la vanité et la susceptibilité pour trouver l’altruisme.

« Mais faire tout un livre d’un seul de ces textes, ça va pas être facile… ». Nope. Qu’est-ce-que ça donnerait, un livre écrit par un fantôme d’enfant de 10 ans, un livre de recettes inversées à la tangente amorale, et un troisième de culture transversalement pseudo et scientifique ? Et si j’entourais le tout d’un petit conte science-fictionnel… ? Après tout, personne ne s’en plaindrait, à part moi « je » veux dire.

 

 

 

Andalousie

Je me souviens, les prairies bordées de cactus

Je vais pas trembler devant ce pantin

Ce minus

Je vais l’attraper, lui et son chapeau

Les faire tourner comme un soleil

Ce soir, la femme du torero

Dormira sur ses deux oreilles

 

Je me souviens avoir entendu, il y a longtemps, l’histoire du drapeau espagnol, racontée par un étudiant en espagnol de la fac d’Aix I en une phrase sans verbe: « le rouge pour le sang, le jaune pour l’or. » J’ai encore un bout de ce que j’ai ressenti là, au fonds. Mais comment l’écrire ?

Je me souviens, les prairies bordées de cactus. Je vais pas trembler devant ce pantin, ce minus. 

J’aurais pu passer quelques heures, comme je le fais parfois, à faire « des recherches » sur ce drapeau afin de revenir le démonter correctement, dans les règles.

Je vais l’attraper, lui et son chapeau, Les faire tourner comme un soleil…

Mais ce que j’ai ressenti était ce que je cherchais, et je l’avais déjà trouvé. J’étais à la fois fascinée et dégoûtée par ce miel sonore coulé dans mes deux oreilles.

Ce soir, la femme du torero, Dormira sur ses deux oreilles.

Des images, tout de suite, de sang et d’or, révélées, j’étais Le Réceptacle de quelque chose.

 

Est-ce que ce monde est sérieux?

Certes, certes. Au temps qu’il le peut.

Est-ce que ce monde est sérieux?

 

Qu’un territoire donne à quoi que ce soit comme de l’adn une saveur particulière, non je ne crois plus ni au père noël, ni aux nations. Mais. Peut être est-ce parce que je n’ai pas grandi là exactement où je suis née que je cherche n’importe quelle part infinitésimale de racine à laquelle me raccrocher ? Va s’avoir.