Boucle

 

Samedi dernier était organisé par une bibliothèque du dixième arrondissement un atelier d’écriture. François Villon, pour tout dire. La base en était une promenade dans les rues proches du quartier. On partit, puis on revint. On se mit à écrire.
Ici mes remerciements à l’institution et à Philippe Diaz qui organisait l’événement.

 

 

Le type stationnait devant l’entrée, il était en mauve, un gilet et une chemise dans les roses. Il fumait, il ne semblait pas attendre, il fumait, il pensait un peu et les gens devant lui passaient sur le boulevard . Un autre vendait là des livres, Sophia Loren et Simone Signoret, la pluie commençait à peine, les gens se pressaient vers le métro, la bouche, les travaux, les tuyaux, les tas de sable et les barrières. Sur la place, le kiosque vantait une brochure, une femme dans un chemisier rouge se penchait vers le monde, souriait un peu. À peine. Une autre Simone, de Beauvoir celle-là, elle regardait au loin. En arrivant sur la place une heure avant, devant le siège qui fait penser à Brasilia et de là à l’Homme de Rio, un tournage, des types en costumes un lien rouge autour du cou, des femmes en tailleurs avec au cou le même lien rouge les mêmes badges les mêmes photos. Ça discutait, ça portait une flûte de champagne à ses lèvres, ça riait. Plus haut le garage était ouvert, une image d’une voiture qui se voulait ancienne , le contrepoint de celles à vendre, énormes, qui stationnaient là, tous feux éteints rouges ou noires derrière des vitres épaisses. On descendait de la butte, on avait croisé en haut des marches un graffiti mauve qui assurait d’un gros chiffre 1984 sur un mur gris. La rue était en pente, un type en bermuda mendiait devant la palissade, un terrain vague, une maison fermée. La promenade était passée par une petite place, une espèce de rond-point où aboutissaient deux ou trois autres rues calmes, tranquilles, aucun commerce, rien sinon des touristes qui s’exprimaient un peu en allemand peut-être, qui prenaient quelques photos, des maisons, petites, différentes les unes des autres, des genres de villas cossues, sur une porte un grand MERCI en jaune sale glissait en s’effaçant. Une femme dans les oranges garait là son scooter, des lunettes de soleil un casque des baskets un pantalon et des cheveux du même ton, une dizaine de personnes semblait former là une espèce de groupe, ça venait de monter les volées de marches qui aboutissaient, vingt ou trente mètres plus bas à l’avenue. Là se trouvaient les commerces, de bouche des pizzas sensationnelles à deux pour le prix d’une seule, une boulangerie, une charcuterie-triperie, un plombier-serrurier, un restaurant marocain ou quelque chose et deux tailleurs, c’était frappant, deux tailleurs, l’un pour hommes – des vestes de couleurs vives, sans doute pour des occasions spéciales, particulières, uniques mariages, baptêmes, anniversaires – l’autre pour femmes, dans les mêmes dispositions, des robes chatoyantes brillantes chamarrées. De l’autre côté de l’avenue, des écoles, des arbres, une épicerie. Un passage conduisait à d’autres marches en bas desquelles les prunus perdaient leurs pétales. C’était une rue intérieure qui sur elle-même tournait, une cité bordée d’immeubles hauts et blancs revêtus de céramiques blanches et au dessus le ciel, encore bleu un vague vent doux calme tiède tranquille. La rue passait sous un de ces immeubles et c’est là que se réunissaient trois ou quatre types qui fumaient, qui discutaient, une musique empêchait qu’on perçut leurs paroles, eux vous ignoraient, vous n’existiez pas, vous n’apparaissiez même pas, tout à leur monde qu’ils étaient. Vingt ans à peine, tout en noir, casquettes barbes lunettes de soleil, et juste à côté un bar où d’autres jeunes gens riaient, un kebab tournait plus loin comme l’enseigne bleu-banc-rouge du barbier. Des pigeons, des arbres en fleurs, des voitures de police hurlant pour pouvoir passer, des vélos encore et encore, des odeurs de pollens de cuisine de fritures et au loin, là-bas sur la gauche, ce type tout en mauve qui attend, devant l’entrée, et fume une cigarette, c’est à peine s’il pense une moue sur le visage et sa chemise, dans les roses

 

En passant, on a constitué un album dont je ne me souviens pas vraiment m’être servi pendant la rédaction – j’ai regardé quelques images, je les ai taillées à la mesure des personnages et je les présente dans l’ordre de la narration

add. du mardi (le 15) suivant (qui ne sourit pas qu' »à peine », d’ailleurs) :

 

3 réflexions au sujet de « Boucle »

  1. « une rue intérieure qui sur elle-même tournait », filmée ici :-))) (on peut facilement et intérieurement ajouter la musique de Nino Rota))

  2. Je conserve bien précieusement vos textes, les amis, pour les lire plus tard lors d’une « bulle d’air » dans le quartier, si vous le voulez bien.

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