On peut tout changer sans rien changer. Par exemple on peut dire que tout a changé sans rien changer. Par exemple on peut prononcer le mot confinement dans la phrase ‘on a vécu le confinement’ en faisant en sorte que ce mot confinement soit équivalent pour tous et synonyme de replis, de lecture, de contemplation d’oiseaux dans le jardin parce qu’on n’utilise pas ce mot confinement en tant que caissière ou livreur de pizzas, parce qu’on oublie qu’utiliser un mot est quelque chose d’intime qui exprime une façon d’être au monde, la sienne et aucune autre, et ainsi et sans méchanceté on écrase les autres façons d’être qui restent coites, les autres ‘confinement’ où le problème est d’avoir été obligé de sortir, d’être mis en danger, fatiguables, usables, utilisables. On peut utiliser un langage qu’on suppose universel et penser que c’est nouveau. On oublie que le mot hôpital n’est pas le même pour tous, qu’on vive en argentine ou en hongrie, que le mot maladie n’est pas le même pour tous, qu’on vive dans un quartier bétonné surpeuplé ou qu’on soit donald trump. On peut prononcer le mot humain en se sentant supérieur aux autres formes de vie issues pourtant du même point zéro du début du vivant. On peut utiliser le mot humain en le dotant d’une destinée singulière, insinuant ainsi que la vie de l’humain a un sens linéaire qui part de rien et se dirige nettement vers le progrès, déclarant ainsi sans ambiguïté mais de façon sous-entendue que nous sommes nous, humains, une finalité, un aboutissement, une supériorité à atteindre dans un trajet non discutable, décrétant de cette façon et sans un mot plus haut que l’autre que les non humains existent pour nous, en regard de nous, à notre service et que, comme le firent les bons trafiquants d’esclaves, nous devons les choyer pour mieux en retirer de bénéfices. Par exemple on peut vouloir protéger absolument une espèce rare de grenouille parce qu’on suppose que dans sa peau se cachent les molécules d’un vaccin. Ça changerait tout, on pourrait qualifier cette découverte de progrès, mais ça ne changerait pas les échelles de valeurs si faciles à plaquer, à emprunter, à dupliquer et à réutiliser, sacs jetables.
Déjà se dire que mes mots ne sont pas tes mots. Et que ce n’est pas grave. Que ce n’est pas une séparation ou une solitude de fond. Que c’est une différence et que les différences ne sont pas graves, elles sont utiles, c’est par les différences d’un gène à l’autre que nous nous sommes développés.
Mais en arriver à l’idée que les différences ne sont pas graves est problématique, on met les enfants différents dans des classes spéciales, on bétonne des catégories étanches entre genres, entre quartiers, entre mots, entre confinements, et on lisse la surface pour la rendre plus propre en apparence, en apparence seulement, parce qu’on préfère regarder une surface lisse, propre et compacte, on préfère voir un grille-pain en inox profilé plutôt qu’un grille-pain bancal, cabossé. Nos objets aussi sont comme nos mots, intimes, intimement liés à ce qu’il est bon de regarder. Nos tableaux, nos sculptures, nos enregistrements, nos films sont comme nos mots. Il y a ceux des bons trafiquants d’esclaves qui vivent le confinement dans leur bibliothèque à la campagne tout en pensant à la marche du monde dans sa globalité depuis eux seuls et leur paysage lissé. Le lissage, la propreté des apparences et les gentils trafiquants d’esclaves qui exploitent avec grandeur d’âme sont un problème, un de mes problèmes, c’est pourquoi je marmonne dans la cave de la maison[s]témoin le samedi matin.