29/12/2024   

SPOILER ALERT !!!

Je date toujours ce que j’écris. Comme si. Par réflexe. Par peur. De disparaître. Peut être un peu mais que.

Et puis parfois, ce sont les dates, certains chiffres accompagnés de lettres, qui s’accrochent à moi, notamment.

 

Intro : journal DW, « il » en fait partie, de quoi ? Bonne question.

J’ai étudié un auteur particulier pendant cinq années. Grâce à lui, et un peu à ce directeur de recherches particulier, j’ai obtenu un diplôme de recherches en littérature anglaise, c’était en 2018, je n’ai pas le jour, ni le mois, peut être juin. Son nom était le premier d’une liste manuscrite faite par ce directeur d’inconscience, je ne connaissais rien de lui, mon doigt le pointe sans plus de raison apparente qu’aucun autre nom de la liste.

« Mais vous pouvez prendre un autre nom, les comparer et…

-Non, lui. C’est tout. »

Et c’était parti pour cinq années. J’ai commandé les ouvrages dans un autre pays lointain, par-delà l’océan. Il leur faudra un mois pour arriver. Je ne connaissais rien de lui. Et le directeur de me proposer ses ouvrages pour commencer à le lire. J’acceptais, fébrile, je ne sais pas prendre soin de quoi que ce soit. Je ne lui dis que du corps, je ferai donc ce que je pourrais le temps que.

En attendant, je n’ai pas pu refuser car je voulais absolument, absolument, vérifier une chose. Sans savoir quoi. Je me suis jetée comme un chien errant sur une carcasse de poulet sur son Journals. 1942-1948. Vite ! Où est 1945 ? ah ! et mai ? ah…et le 8… ?

Il n’y a rien. Rien. Pas d’entrées pour le 8 mai 1945.

Je ne sais pas ce que j’espérais, je ne sais toujours pas exactement aujourd’hui ce que je cherchais à ce moment-là. Ce que je sais, c’est que, pour une fois, la déception n’a pas complètement éteint mes envies diffuses. J’ai fini par tourner la page, assez vite, pour découvrir l’entrée du 9 mai 1945.

Il me faudra quatre années et un spécialiste en mammographie citadin de province, comme on dit, passionnée d’Asie à qui je raconte ce passage pour que s’éclaire, un peu, ce moment-là. J’avais déjà mon diplôme en poche, je ne pouvais donc pas me servir de cette dernière Breaking News pour améliorer quelque pénible argument. Et pourtant, toujours pas de déception. Un sourire, large, plus haut que les Zoreilles.

« Il est bien né à Shangai, votre auteur ? Pour eux, la fin de la guerre, c’est le 9… ».

Comment vous décrire, il n’y a pas de mots, vraiment, ou alors pas de ceux qu’on peut contrôler, ce seront des mots inimportants qui résonneront bien loin de ce moment où j’écris avec ce clavier au matin du 29 décembre 2024 à 9h36. Comme j’aimerais, et c’est là ma blessure, mon orgueil, ma vanité, mon arrogance, vous l’écrire. Ma prométhéenne ambition démesurée à ce petit corps là, alors même que j’ai bien conscience de la parfaite inadéquation entre ce que Prométhée veut faire et le résultat de ce qu’il fait.

Alors, revenons, un peu, sur cette entrée. Denton n’a qu’une phrase pour cette guerre mondiale s’achevant : « So, yesterday was victory day. A feeling of uneasiness all the time and wondering what to do, because I had been silly enough not to shut myself up in the morning. There we were sitting in May’s garden. I was doing the Doll’s House. (Did I say that in the kitchen, while I was scraping a piece of wood on the right of the fireplace I came across the initials M.J.D. and the date 1783…”.

La première fois que je l’ai lu, j’ai lâché le livre en lisant la date 1783. Qu’ai-je ressenti exactement ? Un apaisement triste, un sourire de larmes, comme une rencontre qu’on a attendu si longtemps qu’on ne l’attendait plus, qu’on se sait plus, que tout prend la place de rien. Un salut de loin, un clin d’œil, une tape dans le dos. Une solitude que l’on sait illusoire, sans pouvoir le dire, qui s’envole tel un voile sur le cristallin.

J’ai passé les cinq années à tenter de démontrer, à passer en revue tous les calendriers possible pour trouver l’équation ultime, sans pouvoir jamais y arriver. Et je savais, dès le départ, l’entreprise impossible. Mais l’envie, elle, inextinguible. Aujourd’hui, à ce moment-là, à 9h01 de dimanche 29 décembre 2024, elle est toujours là. Fidèle compagnon que je mettrais probablement encore longtemps à ne pas apprendre à domestiquer.

 

Il est probablement vers les 6h30 ce matin du vendredi 20 décembre 2024, je suis dans le métro 11 vers Châtelet. Comme tous les matins vers cette heure-là depuis trois semaines. Je suis en stage Fondamentaux de la Cuisine dans une célèbre école. Je suis vers la station Belleville quand, alors que je ne l’ai pas fait en trois semaines, je regarde mon portable. C’est que j’ai pris de l’assurance, pour une non-parisienne, je peux regarder mon portable au lieu de compter les stations et vérifier mentalement tout l’itinéraire. Ce matin, c’est l’épreuve finale du stage. Je sais que mon pire ennemi, comme toujours, c’est moi-même. J’ai juste besoin de me détendre. Le travail, l’intensité, et surtout l’envie, tout cela, je l’ai, voire un peu trop. Je n’ai pas encore équilibré totalement l’équation. J’essaye donc, en ouvrant ce portable, d’ajouter un élément dans l’équation, sans même pouvoir le nommer, mais je sais qu’il n’est pas loin, je le touche presque. La galerie de photos du téléphone me propose de voir ce que j’ai capturé cinq ans avant ce jour-là. Je n’en ai aucun souvenir. Je voulais faire autre chose en ouvrant le portable, mais je ne sais plus quoi. Alors je clique. Des photos, que je ne reconnais pas. Il m’en faudra trois pour me souvenir. Toutes ces affaires, des pelotes, des vêtements, des tasses à thé. Ce sont elles qui me feront tilter d’ailleurs. Date à date, la mort de la mère de ma mère. Date à date. Quoi faire ? comment réagir ? Je sais comment j’aurais réagi avant, mais maintenant ? D’abord, éteindre le portable. Puis regarder combien il reste de stations. Puis respirer. Puis continuer. Puis ne rien lâcher. Accepter. Y aller avec elle. Y aller avec elles.

Je passe à 8h30. A l’habitude, à mon habitude, je prends un café allongé au café à côté de l’école vers les 7h10. Pour ne pas arriver trop tôt, mais pas que. Aussi pour réviser, parce que je suis plus du matin que du soir. J’étale tout ce que j’ai sur la petite table ronde, le fascicule, les notes, la tablette avec le petit livre pour passer le CAP cuisine auquel je me suis inscrite en candidat libre pour la session de mai 2025, et un petit carnet dans lequel je veux synthétiser les recettes du jour : risotto et choux chantilly avec craquelin sucré. Ca me prend bien vingt minutes. Il est 7h40, le temps que je me présente à l’entrée, c’est acceptable. Je ne veux pas les effrayer par mes arrivées. Il est 8h00, à peu près, je prends donc mon café dans la salle de réunion. Je descend me fumer deux clopes en me demandant de ne plus m’en demander de la matinée. Je remonte. Il est 8h20, juste le temps d’un café, de saluer les autres élèves à peine arrivés, je suis déjà à moitié dedans. Pas le temps de beaucoup plus d’un « bonjour ! ». Il est 8h28, je jette le gobelet vide, et je marche vers la porte de la cuisine. Le chef est là, il est 8h29. Héléna, à côté de Florence, souffle doucement au chef Bastien : « je crois qu’il est l’heure… ». J’essaye de sourire, j’essaye de me détendre, vraiment. Je ne pense plus à rien qu’à « je ne sais pas ». Il y a un grand tableau vide dans mon cerveau, je sais qu’il va se remplir au fur et à mesure de l’épreuve, je n’ai pas peur. « Allez, à toi ! », je fais les quelques pas qui me séparent de la cuisine. Ayant passé la porte, j’essaye de penser les choses dans l’ordre, mais une de mes oreilles traine… :  «  c’est vrai que c’est dur…mort…. », mon esprit arrête mon corps peut être une seconde sur le mot « mort », je me souviens que mon corps se tourne vers l’origine auditive du mot, le chef Bastien. Puis, mon esprit prend le dessus sur Tout le reste. Je me retourne en me marmonnant dans la tête quelque chose comme « pas maintenant. » et je vais me laver les mains, puis me présenter devant mon poste de travail, je prends calmement mon tablier, je prends le temps de l’attacher correctement, le torchon à la taille, la toque. Je me souviens qu’à ce moment-là, Tout va bien, je pense à respirer. Je fais mes pesées pour les choux et le craquelin. J’organise le plan de travail. J’ai largement le temps, mais il faut que les choses soient faites correctement. La matinée se passe, j’étale la pâte à craquelin pour la mettre au froid, qu’elle soit manipulable au bon moment. Chef Bastien vient mettre sous vide quelques choses à côté de moi. Il y a encore une semaine, je n’aurais pas supporter qu’on vienne me perturber à moins d’un mètre. Le pape ou sa sœur, j’aurai lancé des regards assassins. Mais pas aujourd’hui. Je souris même. « Le bruit  ne te dérange pas, Alexia ? Non… » et je retourne à mes craquelins. Tiens, j’ai oublié de prendre un rouleau, heureusement ils sont à côté de ma position. Je comprends que je ne ferai pas tout parfaitement. Je crois que je suis, enfin, en train de faire le deuil de quelque chose, là, devant tout ce que je fais de travers, tout ce que j’oublie, tout ce qui n’est pas parfaitement maîtrisé. Je ne suis pas parfaite, et ce n’est pas grave. Et je sens que mes épaules me font moins mal. Heureusement, parce qu’il y aura une chantilly à monter au fouet un peu plus tard !

J’ai oublié de compter le temps des craquelins pour calculer le moment de commencer le risotto. Je me sens super en avance, mais un truc me chagrine, me gratte derrière la tête, légèrement. Quand le chef demande l’heure pour mettre les choux au four, je vérifie avec les compagnons, toujours en oubliant le temps des craquelins. Je me sens très à l’aise. Puis, à un moment, les craquelins refont surface dans ma mémoire…ah ! ah ben, ça change tout ! Mes choux sont sur plaque, j’en ai fait trop, comme d’habitude, je ne les ai pas assez bien espacés quand l’image des craquelins arrive exactement au fonds des cristallins, même celui censé ne pas fonctionner, le droit. Ok. Tout va bien. Pas de panique, il est temps de faire un petit choix. Cuisinier ou pâtissière ? Les deux mon Capitaine ! Comme d’habitude, je choisis de ne pas choisir. Je vais chercher ma plaque de craquelin, je discute un peu trop longtemps avec moi-même, la pâte à craquelin  a réchauffé et n’est plus manipulable. Combien de fois ne pas faire le choix aujourd’hui ? A chaque instant, je le sens, je l’accepte. Je n’ai plus le temps de remettre au froid. Alors je moule les craquelins dans le creux de ma main. Arnaque. Ou pas. Je mets au four. Je peux enfin me mettre au risotto. Chef Bastien m’avait lancé un « 10h10 pour commencer le risotto Alex. ». Il est 10h05, les pesées, j’y suis. Je ne peux pas dire que je suis « calme », mais je ne suis pas surexcitée. C’est un progrès. Et je commence à en être fière. Simon aura bien besoin de me rappeler qu’il peut entendre tout ce que je dis, et que ce serait bien que je me parle plus bas, mais honnêtement c’est quand même bien mieux qu’il y a tout juste une semaine. Je lance le risotto, 10h10. Même quand Valérie vient me poser des questions, je réponds gentiment, calmement. Le risotto est bien lancé. Je peux prendre quelques secondes pour lancer à Adeline qui vient de reparler d’un mort avec les autres : « …Psst, Adeline…de qui vous parlez ? », « Tu n’as pas vu que K n’était pas là ? il a perdu son père dans la nuit, il a du repartir sur l’Île… ». Noms des dieux, ma tête regarde son poste de travail vide, je n’avais pas vu, K ! Il n’est pas là ! Encore un peu, je dois finir mon risotto. Il est 10h30, je passe à 10h50. Il me reste encore un peu de avant de. Surtout la couleur, je m’étais planté sur la couleur, j’avais démarré les oignons à chaud et j’avais coloré toute la préparation. Je ne veux pas refaire la même erreur. Je me concentre, désolée vite fait K, je dois, je sais que tu comprends, je n’ai même pas à me le demander. J’ai oublié le sel, vite fait, j’en ajoute pas au bon moment, mais j’en ajoute. Je goute, je rectifie. 15 minutes, puis 4 sur marbre en inertie. Il est 10h 40, ou deux. Je suis dans le timing. Monter au beurre, j’oublie le poivre, mais c’est en QS, et je n’aime pas le poivre, c’est ce que je me dirai quand je m’en apercevrai une heure plus tard, en voyant les autres se passer le moulin. Le risotto n’est pas coloré, je le présente à 10h50 pile. Chef Bastien le valide. Ça, c’est fait. Entre temps, j’avais mis la minuterie au four pour mes choux. J’avais lu quarante minutes sur la recette du fascicule, à 175 degrès. J’avais donc enfourné mes choux à 175 degrés pour 40 minutes. J’étais la première, loin devant les autres, j’avais donc mis mes choux tout seuls dans un four et j’attendais que la sonnerie me signale la fin de cuisson. Chef Bastien était passé par là, et avait demandé « à qui sont les choux là ? », j’avais simplement répondu « à moi… », il me demanda « où est ton timer ? », que je n’aime pas ces petits engins, je préfère l’horloge murale ou la minuterie du four. « J’ai mis le temps au minuteur… ». « Combien de temps ? ». Je bredouille, sentant la mauvaise réponse, mais étant sûre de l’avoir pris dans le fascicule : « 40 minutes… ». Chef Bastien baisse légèrement la tête en soufflant, je crois qu’en une semaine il sait tout de moi. Comment je peux tout faire foirer pour une seconde d’inattention, parce que je n’ai jamais le temps de. Pourtant, j’en ai fait des choux à la Détente, je m’en rappelerai plus tard. Je n’ai jamais mis quarante minutes ! au plus vingt, mais jamais quarante ! « Je pense qu’ils sont cuits là, tu peux les sortir… ». Il restait onze ou treize minutes. Je les sors, il était temps.

Il me reste la chantilly à monter. Les pesées. Le sucre, la crème, une pincée de sel. Un cul-de-poule assez grand, un fouet. Je sais faire. J’en ai fait. Plein ! D’ailleurs, je crois que c’est à ce moment-là que je réalise que c’est le fouet mon ustensile préféré en cuisine. C’est celui qui amène au cœur d’une matière l’air brassé par la traction de mon bras. Quelle est l’ustensile qui peut mieux me faire entrer dans la matière ? C’est celui que je préfère, vraiment. C’est celui qui relie moi, ce qui m’entoure et la matière. J’adore le fouet. Mon coude droit en souffre un peu. Mais moi j’adore. Vingt minutes plus tard, je découpe les chapeaux de mes choux, je les garnis de chantilly, deux assiettes de huit choux. Je les présente à 11h30 précises. Chef Bastien et Héléna goûtent. Chef Bastien essaye de me rassurer, il me reste encore un peu de dedans. J’aimerais vous dire que je l’ai bien écouté. Mais je ne suis toujours pas parfaite. C’est avant-hier en cherchant des fiches techniques pour préparer les miennes, aujourd’hui à 10h22 en vous écrivant ces quelques lignes, demain en préparant la fricassée de volaille pour la Détente, que je le réécouterai un peu mieux à chaque fois. On a tous fini, on a tous réussi. Il est 13h13, je suis dehors, je suis sortie pour la dernière fois cette année de l’école, je fume ma clope sur le rebord de l’école, je prends un peu de temps pour aller sur la page du groupe sur un réseau social pour lire ce que K nous a écrit à tous. Je lui réponds dans le soleil d’automne, mon préféré, le ciel est bleu, j’attends Blanche, je pense à lui. Sincèrement. Le temps est absolument parfait, dans toutes ses incohérences, malentendus et autres inaccessibles étoiles.

2 réflexions au sujet de « 29/12/2024    »

  1. en m’étant mise à la cuisine à cinquante ans et avec la certitude de la faire mal n’ai jamais osé me risquer à quelque chose de plus compliqué qu’une omelette et du poisson grillé ou des pâtes parce que pour cela (riz pates) j’étais obligée – alors j’admire et en mêe temps me dis que je m’évite des émotions

  2. Ah, la frustration…gros dossier…merci du pas sage…tu sales ton riz???nan, parce qu’on a tous eu l’air de ce qu’on a eu l’air quand le chef nous a dit qu’il ne fallait jamais saler le riz!!! et c’est pour ça qu’on surassaisonne l’accompagnement d’un riz…vàlà!

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