Celles-ci précèdent les 5 posées il y a quelques temps – ici il y en sept d’objets (tout ce qu’il reste) et sept de personnes (elles sont toutes mortes) – la photographie comme preuve de l’existence (et ici, en cette maison, comme témoignage) – il s’agit de la première « Scène intérieure » (initialement publiée par Jean-Bertrand Pontalis qui dirigeait la collection L’un et l’autre aux mêmes éditions) sous titrée « Faits » (ici en folio numéro 5940) – (la seconde, disons, mais qui, ici, a paru en premier, était intitulée « Cinq femmes » et sous-titrée « Scène intérieure II ») – je retranscris ici quelques lignes de l‘Avertissement qui permettent de comprendre le contexte de ces deux ouvrages :
Les pages qui suivent contiennent, en effet, tout ce dont je me souviens, et tout ce que j’ai pu apprendre aussi sur mon père, ma mère, ma sœur, mes grands-parents paternels, deux oncles et une grand-tante disparus à Auschwitz en 1943 et 1944. Une tante par alliance seule est revenue. J’avais cinq ans et demi.
Le petit Marcel, ce samedi-là, avait été avec Annette, sa gouvernante disons, se promener au parc Montceau, situé en face de l’appartement du grand-père paternel. La gestapo vint à ce moment et arrêta toutes les personnes présentes dans l’appartement. Marcel et Annette, sur le trottoir de l’autre côté du boulevard virent cette arrestation, et s’en allèrent rapidement. Une chance
Ici une image de la mère (Maria Cohen, née le 9 octobre 1915 à Istanbul) déportée dans le convoi numéro 63 du 17 décembre 1943, assassinée (j’ignore la date de son décès)
recadrée
puis deux images du père (Jacques Cohen – né le 20 février 1902 à Istanbul) déporté dans le convoi numéro 59 du 2 décembre 1943 – assassiné
ces gens vivaient dans le dix-septième arrondissement de Paris, vers les Batignolles – ils étaient juifs immigrés d’Istanbul dans les années vingt du siècle précédent –
Monique Cohen, sœur de Marcel, née le 14 mai 1943 à Asnières (92) déportée à six mois comme le voulait la loi, avec sa mère dans le convoi 63, assassinée – on ne garde d’elle que ce bracelet
que je rapproche, on distingue le nœud pratiqué à l’une des parties, sans doute pour adapter le bijou au poignet de cette enfant
Sultana Cohen, la grand-mère paternelle de Marcel, née en 1871 à Istanbul, déportée dans le convoi numéro 59 du 2 septembre 1943, assassinée
Mercado Cohen, grand-père paternel (père de Jacques donc) né en 1864 à Istanbul, déporté dans le convoi numéro 59 du 2 septembre 1943, assassiné
vient Joseph Cohen (le frère aîné de Jacques), oncle de Marcel, né le 10 août 1895 à Istanbul, déporté dans le convoi numéro 59 du 2 septembre 1943, assassiné
Rebecca Chaki, cousine germaine de Mercado, qui vivait chez lui boulevard de Courcelles, née le 13 avril 1875 à Istanbul, déportée dans le convoi numéro 59 le 2 septembre 1943, assassinée
puis enfin David Salem (le plus âgé frère de Marie, la mère de Marcel, donc un de ses oncles) né le 29 avril 1908 à Constantinople, déporté dans le convoi numéro 75 du 30 mai 1944, assassiné (on dit de lui qu’il a eu une belle mort : il s’est jeté sur les barbelés électrifiés du camp d’Auschwitz) (ici avec sa sœur, dont il est l’aîné de sept ans)
Il reste aussi quelques objets dont les images sont portées en fin d’ouvrage, sous la rubrique « Documents » – ils forment des souvenirs de Marcel, des objets qui lui restent.
Le coquetier de sa mère (qui lui venait de ses parents et d’Istanbul)
puis ce petit objet représentant un cheval, offert par Jacques à Marcel (Jacques l’avait confectionné pour son fils)
le violon de Jacques (miraculeusement retrouvé dans la cave de l’appartement des Batignolles qui lui avait été pillé, probablement par des voisins peu scrupuleux)
le petit sac en tissu ayant contenu le bracelet de Monique
la résille de Jacques (il avait des cheveux qui se crantaient, ça ne lui plaisait pas, il la portait la nuit afin de domestiquer ses cheveux qu’il gominait aussi)
son étui à cigarettes en cuir
et enfin une reproduction d’un ours qui porte un récipient servant de cendrier (objet qui tenait dans la main – la bouche ouverte était peinte en rouge)
ici la table
Je pose pour finir ces quelques lignes de l’Avertissement, en page 8 de l’ouvrage, qui indiquent :
Aux monstruosités passées, il n’était pas possible d’ajouter l’injustice de laisser croire que ces matériaux étaient trop minces, la personnalité des disparus trop floue, et, pour utiliser une expression qui fait mal mais permettra de me faire comprendre, trop peu « originale » pour justifier un livre. À la scène III de l’opéra de Richard Wagner L’Or du Rhin la formule magique d’Alberiche qui rend invisible est la suivante « Seid Nach und Nebel gleich » (« Soyez semblable à la nuit et au brouillard »). On sait l’usage qui fut ultérieurement fait de ce Nacht und Nebel.
Plus jamais ça.
Ce billet est dédié à mon grand-père Victor, déporté dans le convoi numéro 67, du 3 février 1944, assassiné à Auschwitz, ainsi qu’à Willy Holt, déporté dans le même convoi, mais qui, lui, en revint (et c’est heureux). Avec toute ma tendresse à eux comme à Marcel.
L’oubli ne peut faire son office. La lutte continue même ces jours-ci. 🙂
tendresse et coeur serré sur la pointe des pieds. avec respect
@brigittecelerier : merci à vous Brigitte – tellement
@Dominique Hasselmann : oui, continuons… Merci à toi Dominique
retourner vers ces pages par ton regard ( le cheval cousu par le père le bracelet ajustable au poignet de la sœur juste née) leurs visages noms et dates, avoir le cœur serré – je n’avais pas vu les mots de Brigitte . Merci pour ce billet, pour sa lumière. (et pour sa dédicace)
@holt : bienvenue… (Merci) à toi
merci beaucoup pour les mots avec Willy, et compliments pour les textes. Olivier H
merci à vous, Olivier