Quatre jours autres, loin des Vagues, loin des ami-es et des échos amis des ami-es, mais tout ce qui se passe en quatre jours peut me nourrir longtemps, surtout à cause des photos qui réapparaissent, elles étaient en fond de cour, fond de vie, fond de boîtes, et des doigts leur redonnent du présent.
C’est là que je vois que rien ne se perd et que rien ne s’arrête, par exemple nous avons parlé de cette balle en mousse, qu’est-ce que c’est une balle en mousse, rien ou pas grand-chose, ça ne coûte rien, ça n’est pas sur un socle blanc dans un musée, c’est quelques francs payés dans une quelconque grande surface il y a si longtemps, un temps qui n’est pas si long mais si long en même temps.
On était assis dans la chambre (le jardin collectif, les portants à roulettes dans le couloir avec le quatre heures pour les résidents, et au bout du couloir les jeux de dominos ou les têtes sur les tables, ou les têtes en arrière et les fauteuils roulants), donc nous étions assis avec elle, elle qui dit J’ai toute ma tête, puis Je ne me souviens plus, et sur le mur la photo d’elle avant, quelques années plus tôt, avec son petit-fils et son arrière-petit-fils qui au moment de cette photo vient juste d’apprendre à marcher, et nous parlons, nous parlons de cette balle en mousse.
Celui qui n’est plus là et dont elle ne sait plus où sont les cendres est au milieu de chaque morceau de conversation. La balle en mousse est à lui. Il l’a manipulée des heures et des heures pour retrouver la dextérité de ses doigts (opération de chirurgie précise, la scie circulaire, le chirurgien qui dit Quel dommage, de si belles mains, des mains de pianiste, et qui fait de son mieux mais pense que jamais ces mains ne retrouveront leur dextérité première, et lui – le lui qui est partout ici – qui refuse et qui malaxe la boule en mousse des heures durant pour lui donner tort). Ensuite la boule en mousse est rangée dans un bac près de la machine à coudre dans le placard près des toilettes. Le petit-fils, lorsqu’il est petit, la prend pour la lancer dans l’escalier, la rattraper et la lancer dans l’escalier, la rattraper. Et lorsqu’il vient avec son fils à lui, donc l’arrière-petit-fils, il lui montre ce jeu, la balle en mousse, l’escalier, la lancer, la rattraper.
Et nous voilà, elle qui ne se souvient plus, le petit-fils et moi à se raconter cette histoire, cette histoire de la balle en mousse, près du couloir où sont distribués les quatre heures pour les résidents. Elle demande Où est-elle ? (la balle) (sûrement jetée, avec la maison vidée, avec le dernier déménagement qui l’a amenée là, nous ne pouvons rien dire de plus). Elle dit J’aurais bien voulu la garder. Et nous aussi nous aurions bien voulu, moi sa fille et lui son petit-fils. Tous les trois nous sommes autour du rien, de cette boule de rien qui n’est plus là, et qui n’avait à la fois pas et tant d’importance, une sorte de petit symbole rond et rebondissant qui a sûrement été broyé ou délité depuis.
Et nous allons partir (fauteuil roulant, ouvrir la porte et retrouver, pour elle les dominos, pour moi et pour le petit-fils la vie dehors en traversant le parking). Une dernière fois avant de s’en aller, le petit-fils prend le cadre sur le mur pour le voir mieux, le cadre avec sa photo à elle il y a quelques années, avec lui, le petit-fils, et l’arrière-petit-fils si poupon. Cette photo est là, sans mystère depuis des mois maintenant. Elle qui regarde l’objectif. Le petit-fils qui tient l’arrière-petit-fils entre elle et lui et qui regarde l’objectif, et l’arrière-petit-fils si petit, une main levée vers nous et le poing rond. Et c’est seulement à ce moment-là qu’on a vu la balle en mousse serrée dans le poing rond. C’est quand même fou comme tout se tient caché et apparent.
C’est comme la photo chiffonnée. Elle n’était pas cachée au fond de la boîte en carton, simplement elle était recouverte. Lui au travail. Lui jeune et fier. Qui a pris cette photo ? Nous sommes dans des filets, cordages, ficelles, fil, fils et petits-fils et arrière-petits-fils et on ne sait pas ce qui reste visible et pourquoi. C’est comme tôt le matin, comme ce matin, un grand nuage dans la nuit, je ne savais pas.
non mais quatre jours qu’est-ce que ça peut faire ? – ce qui est vraiment joli, c’est ces évocations à partir des photos – et cette petite balle – vraiment – merci pour le partage
coeur serrée, amie (et pensées |comme tous les jours d’ailleurs| pour celle qui accompagne le chemin d’absence de son mari et pour laquelle ne puis rien) je t’embrasse