La maison est vide en ce moment. Comme c’est un printemps un peu frais, que le ciel est grisé, les ombres ne se découpent pas sur le carrelage de la cuisine, sur les dalles claires du salon, au seuil des portes neuves, comme si ici était un lieu hors sol, hors pesanteur – car que pèse-t-on, débarrassé de l’ombre –, comme si les pièces étaient les membres ramenés entre eux d’un grand corps accroupi qui attend, la maison témoin qui écoute.
Il y a des voix de femmes, des rires, des cris. Beaucoup de musique, quand leurs fantômes traversent le couloir, les chambres, et on entend parfois « coupez ! », mais on ne coupe pas, il y a des liens indéfectibles. Il y a ce qui reste des visites, un morceau de papier plié avec un bout de téléphone ou le début d’un nom. Des produits ménagers sous l’évier, des prospectus. Un des faux livres décoratifs de la bibliothèque est écorné – un enfant qui voulait vérifier que c’était une boîte, que ça ne s’ouvrait pas cette mystification, l’a arraché en douce avec son ongle pendant que les adultes parlaient. Il fallait bien qu’il réalise que c’était vrai ce mensonge.
Dehors le trottoir est sale devant le panneau d’affichage qui rappelle les horaires de visites, il fera bientôt nuit.
La nuit arrive, comme elle résonne dans les murs vides, de cris, de rires, qui viennent de loin, plus loin que le trottoir, c’est un vacarme vague, actif et concentré, de qui se réunissent, ne veulent pas dormir, veulent rester debout. La maison est inquiète. Plus légère sans son ombre, elle y prend goût à ce printemps. Elle aimerait bien ne plus entendre « coupez ! » – et elle a cette idée que les fantômes ne sont pas morts. Elle voudrait des slogans qui s’allument et clignotent sur l’écran imité de la fausse télé du salon. Que les fruits en plastique du saladier se talent, mûrissent, pourrissent même, qu’on puisse les jeter sur ce qui avilit, ce qui violence, ce qui monstre d’aveuglement. Elle en a marre d’être témoin peut-être ?
oui trop compliqué et fatigant d’être témoin
et puis parfois on aimerait qu’un livre s’ouvre, se corne vraiment et qu’en flanquant la poussière derrière le rideau elle puisse être emportée par un coup de vent